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Avec les ICS, pourquoi chercher de l’engrais et des semences en Russie ? (Par Zeynab Sangaré)

Le voyage du Chef de l’Etat en Russie a été salué comme un succès. L’objectif était de trouver une issue pour la crise alimentaire qui impacte le monde et particulièrement le Sénégal. Cependant ce déplacement du président Sall s’apparente pour certains à de la mendicité alors que le pays est assis sur une mine d’or. En effet, avec les Industries chimiques du Sénégal (ICS), le plus gros producteur d’engrais de la zone Uemoa, les agriculteurs restent confrontés à la disponibilité de l’urée.

A Saraya, Diourbel, Mboro, Kaffrine, Bounkiling, Fatick, Keur Socé, Kédougou, Sédhiou, partout à l’intérieur du pays, les paysans, en cette période hivernale, ont le même cri du cœur et la même angoisse : « A quand nos engrais, nos semences ? » Comme annoncé par l’Anacim, dans plusieurs parties sud du Sénégal, l’hivernage précoce s’est installé. Et pourtant, bien avant, les paysans comme par prémonition, avaient déjà commencé à réclamer des engrais et semences aux autorités. En vain. Se voulant rassurant, il y a un mois, le ministre de l’Agriculture et de l’Équipement rural avait annoncé que la campagne de distribution des semences suit son cours. « Tout opérateur qui n’amène pas les semences aux différents endroits indiqués par le ministère, on va reprendre les produits et les donner à un autre. Nous espérons que d’ici une semaine, tout le monde recevra ses semences. J’ai reçu aujourd’hui des photos de paysans qui me confirment qu’ils ont reçu les produits. On veut commencer par le sud où il pleut d’habitude très tôt avant de remonter dans le nord », déclarait avec assurance le ministre de l’Agriculture.

Mais l’aveu étant une faute à moitié pardonnée, Moussa Baldé avait reconnu que des experts de la CEDEAO, qui se sont réunis récemment, se sont rendu compte qu’il un manque un million et demi de tonnes d’engrais dans la sous-région. Et au Sénégal, le président de la République Macky Sall les avait instruits de faire tout pour qu’il n’y ait pas un déficit en engrais.

Mais chose curieuse, comment un pays comme le Sénégal avec les Industries chimiques du Sénégal (ICS), le plus gros producteur d’engrais en Afrique occidentale française, peut-il être confronté à une indisponibilité de l’engrais ?

Avec l’existence de cette grosse unité industrielle, des spécialistes du secteur s’interrogent sur l’utilité réelle du voyage du chef de l’Etat en Russie pour quémander de l’engrais et des semences alors que les ICS peuvent satisfaire la demande. Comme en réponse par anticipation, le ministre Moussa Baldé avait avancé qu’« après des discussions avec les ICS, l’entreprise a produit 60 000 tonnes pour l’hivernage 2022. L’année dernière, la tonne d’urée coûtait 330 000 FCFA, alors qu’actuellement le prix est à 750 000 francs CFA. On a demandé à tous les acteurs concernés de faire des efforts en réduisant le prix par patriotisme ». Mais selon d’autres voix autorisées, la réalité est autre. « Les ICS, majoritairement détenues par des Indiens, vendent leurs produits hors de portée de nos braves paysans. Avec une faible part dans l’actionnariat, nos autorités ne peuvent nullement les contraindre à des prix préférentiels pour les nationaux. Sinon l’unique autre possibilité de nos autorités est la subvention qui est aussi un poids financier », expliquent des spécialistes du secteur.

Assis sur de l’or et des trésors, le Sénégal vend des cailloux…

Fatoumata Sissi Ngom, une analyste de politiques, écrivaine et ingénieur en informatique et en mathématiques financières, soulignant le potentiel sénégalais, avait noté dans une publication que, face à la crise pandémique, chaque ville, chaque commune a son capital historique. Mboro (qui héberge l’ICS, NDLR) est surtout reconnue pour son héritage industriel, agricole et halieutique. Bénies par la mer, Mboro et ses voisines sur la grande côte constituent également un important hub de pêche. La ville de Mboro et les communes environnantes de la zone des Niayes sont ainsi un maillon central pour la sécurité alimentaire nationale et régionale ainsi que l’emploi.

Mamadou Lamine Diallo, député mais aussi un pertinent analyste économique, avait constaté avec regret que « les ICS devraient être un des piliers de l’industrialisation et de la révolution agraire du Sénégal. Mais elles ont été bazardées, sans vision, à des intérêts indiens. Les investisseurs multinationaux indiens défendent l’Inde avant tout. »

Faisant le rappel, il souligne qu’il y a quelques années, une panne de chaudière pour six cent millions de FCFA avait mis à genou la société. Ce fut le prétexte tout trouvé pour que Macky Sall procède à la recapitalisation avec ses Indiens à lui, ceux d’Indorama.

Il y a trente ans, un seul expatrié travaillait aux ICS. Ils sont aujourd’hui soixante-dix (70) sur deux mille quatre cent agents (2400). Le directeur des ressources humaines, un Indien qui ne sait ni parler le français et le wolof, encore moins le pulaar, règne en maître. »

Dans cette même logique, interrogé par nos confrères du journal « Le Témoin », un membre du Cadre de concertation et de coopération des ruraux (Cncr), s’est voulu concis. En effet, par la voix de son chargé de communication, Sidy Bâ, il soutient que la meilleure manière d’éviter des manquements liés à l’indisponibilité de l’engrais, c’est, selon lui, « de renationaliser l’usine de production d’engrais cédée aux Indiens ».

Comment l’Etat du Sénégal en est-il arrivé à une part de 12 % sur les revenus des ICS aujourd’hui ?

Selon nos sources au moment de la vente des ICS, la société pesait plus de 700 milliards de francs CFA. Ce contrairement à cette faillite qui a été annoncée comme prétexte. Madické Niang, Ousmane Ngom, Alé Lô et Karim Wade seraient les quatre responsables qui ont diligenté la vente des ICS pour une minable somme de 42 milliards de francs à des Indiens. Une situation qui aurait surpris la majorité des employés qui étaient sur place. Aujourd’hui les ICS exportent au minimum trois bateaux d’acide phosphorique PDO 5 d’une valeur de 47 milliards de francs CFA à quai par bateau, soit 141 milliards de francs CFA par mois et 1692 milliards de francs CFA l’année.

Zaynab SANGARÈ

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