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L’université de l’échec (Par Dr Abdoulaye Taye)

Le président Macky Sall a marqué l’enseignement supérieur comme une priorité dès l’aube de son mandat en 2013 à travers la CNAES. Il n’a cessé de déployer des efforts considérables pour relever les nombreux défis de l’Université. D’énormes ressources financières accompagnées d’infrastructures aussi bien pédagogiques que sociales ont été mobilisées. Ces efforts reconnus par tous et sous-tendus par une volonté constante n’ont malheureusement pas abouti aux résultats escomptés. Cet engagement de l’Etat ne s’est traduit ni par les résultats des examens, ni par les résultats de la recherche, ni par le classement de nos universités encore moins par l’amélioration de l’insertion de nos produits dans le tissu économique. Il faut donc s’interroger ! Encore s’interroger ? Quelles sont les causes de ces échecs ? Sont-elles liées à l’insuffisance des ressources matérielles et/ou à l’insuffisance des ressources morales, managériales, pédagogiques et intellectuelles des enseignants et des étudiants ?

Les ressources matérielles seules n’ont jamais suffi à produire le succès. Sinon les lauréats du Concours General seront des filles et fils de milliardaires, les premiers aux compositions et examens viendront des familles aisées. Il faut rompre avec la croyance et la mystification fondées sur le mythe du succès-richesse. Notre génération n’a pas appris sous la lumière des lampes électriques. Nous avions appris avec des lampes tempêtes, sur des nattes, pire que dans les classes avec abris provisoires. On se baignait dans le fleuve en lieu et place du robinet de l’appartement moderne. Les premières écoles étaient appelées « daaras » et les premiers enseignants étaient appelés « serignes ».

Ils étaient armés d’une pédagogie originalement performante qui permet de mémoriser tout le Coran à sept ans. On se réveillait à six heures du matin pour apprendre le coran sur des tablettes sous la lumière d’un feu de bois. Nous n’avions ni Téléviseurs, ni Smartphones, ni Ordinateurs, ni Internet encore moins de Répétiteurs. Tout cet environnement favorable à l’information et à l’éducation nous manquait. Nos parents ne savaient ni lire ni écrire, ils ne pouvaient ni nous aider ni nous orienter dans les études. Nous comptons pourtant parmi les meilleurs produits de l’école pour ne pas dire les meilleurs. Nous étions animés du « jom », de la détermination, du désir de réussir et de la volonté de relever les défis des rigueurs d’un environnement socio-économique très sévère. Nous étions armés de ressources et de valeurs morales susceptibles de déplacer des montagnes. Nos enseignants avaient le sens du devoir, l’éthique de responsabilité, la conscience professionnelle et le goût du résultat. Tout le contraire des enseignants et des apprenants d’aujourd’hui qui souffrent réellement de ressources morales voire intellectuelles.

C’est le lieu de dénoncer le déficit d’engagement professionnel des enseignants. Ils préfèreraient sans aucun doute dispenser 6 ou 8 heures dans le privé mais grogneraient contre une décision de l’Etat d’augmenter 2 ou 4 heures sur leur quantum horaire tous les 2 ou 4 ans pour réduire l’impact financier de la charge des vacataires. Les syndicats sont prompts à défendre les intérêts matériels et moraux des enseignants. Mais ils ne sont pas prêts à encourager la conscience professionnelle, l’éthique de responsabilité, l’esprit de sacrifice et d’engagement professionnel. Cela fait partie de leur devoir.
Les ressources matérielles quelle que soit leur quantité et leur qualité doivent être accompagnées par un management bâti sur des modèles performants d’évaluation, de gouvernance, de promotion de la recherche ainsi que des modèles pédagogique, social et financier. Les actuels modèles requièrent cependant de sérieuses reformes puisqu’ils ont atteint leurs limites.

Le modèle d’évaluation basé sur des examens et des contrôles regroupés dans un laps de temps et qui mettent les étudiants sous tension se caractérise par des résultats catastrophiques. En moyenne 65% des élèves en terminale et presque la même proportion des étudiants en licence échouent (contre plus de 90% de taux de réussite au BAC en France). Un tel modèle qui jette autant d’élèves et d’étudiants en fin d’étude dans la rue n’est ni efficace ni rationnel. Il ne favorise ni l’insertion professionnelle des jeunes ni la rentabilité économique à cause du gaspillage des ressources humaines et financières qu’il entraine.

Pire, il alimente le mouvement activiste contestataire et subversif. Il faut le reformer pour ne pas dire le (re)fondre. Le modèle pédagogique qui l’accompagne et le valorise n’arrive à élever ni le niveau des étudiants ni la qualité des apprentissages. Ses manquements se reflètent dans la médiocrité des résultats et la baisse de niveau des étudiants. Pour tout couronner, viennent ruiner les instabilités de l’année académique liées aux multiples grèves toute la dynamique et la qualité des apprentissages. Il faudra réfléchir sur le format et l’organisation des cours et des examens mais aussi et surtout sur la digitalisation des apprentissages. Le modèle social qui devrait créer un dynamisme et un environnement favorables aux apprentissages se dégrade à cause d’une capacité d’hébergement et de restauration dépassé par les flux intempestifs d’étudiants.

Des chambres qui accueillent dix étudiants au lieu de deux, des restaurants qui nourrissent un nombre toujours croissant d’étudiants. Ce modèle social est confronté au défi chronique de l’hébergement et de la restauration. Il est en outre un modèle inéquitable qui exclue les étudiants qui ne bénéficient pas de bourse mais aussi et surtout la majorité de ceux-ci qui n’accèdent pas aux œuvres sociales universitaires pour une raison ou une autre. L’état doit sortir de cet imbroglio en privatisant le social dans le cadre d’une augmentation et d’une généralisation de la bourse estudiantine. Le modèle de gouvernance met l’enseignant au centre de l’Université en plaçant l’étudiant à la périphérie.

L’étudiant est sous-représenté dans les organes de décision et ne sert que de faire-valoir aux décisions prises par les instances pédagogiques. Les nouveaux organes de décision que sont le conseil d’administration et le conseil académique n’y changeront absolument rien au contraire. Il est temps que l’étudiant occupe la position centrale et que le PER et le PATS se mobilisent exclusivement autour de l’intérêt et de la réussite de l’étudiant. Il leur faut au moins des conseils de département et d’UFR autonomes où ils peuvent discuter en toute liberté et en toute responsabilité des problèmes pédagogiques.

L’autonomie de l’Université est par ailleurs une base évidente de conflits d’intérêts. On ne peut pas être juge et partie. Il faut la diluer au lieu de la renforcer par des recteurs et des vice-recteurs élus. Il faut aussi élaborer un système d’information et de statistique pour mieux évaluer les besoins et analyser les faiblesses, les forces, les opportunités et les menaces relatives à l’efficacité et à la qualité des enseignements et de la formation. Le modèle de promotion de la recherche symbolisé par le CAMES exclue des compétences (assistants et maîtres-assistants) dans l’encadrement scientifique des doctorants à travers les titres et les grades. Ce qui se traduit souvent par une escroquerie scientifique doublée d’une violation de la propriété intellectuelle lorsque des assistants ou maitres-assistants sont associés à l’encadrement d’une thèse.

Il faut noter que les titres, les grades comme les diplômes n’expriment qu’une présomption de compétence et d’intelligence. Par ailleurs, un professeur titulaire d’université doit prouver plus que des articles publiés que l’on lit et cite rarement. L’efficience du modèle financier n’est pas non plus avérée. Plusieurs milliards sont engagés dans l’Université chaque année. Les besoins de l’enseignement supérieur s’accroissent de manière exponentielle tandis que les moyens financiers ne suivent pas. La principale source de financement de l’Université est l’Etat. Il faut développer des stratégies qui permettent à l’Université de combler son déficit budgétaire. L’encouragement du président de la république lors de sa rencontre avec les acteurs de l’enseignement supérieur qui va dans ce sens vient à son heure. L’Université Alioune Diop à Bambey, à travers son Centre de Ressources de Dakar (CRD), est déjà engagée dans ce chantier. Notons en passant que l’expérience des contrats de performance (CDP) a montré les limites des capacités de gestionnaires de la communauté universitaire. Les impairs notés dans la gestion ont conduit à l’arrêt du projet.

L’Université doit se renouveler. Le conservatisme managérial en vigueur doit être dépassé. Les stratégies pédagogiques et financières doivent être adaptées aux exigences et défis socioculturels émergents liés au progrès technologique et à l’évolution démographique. Les quatre missions de formation, de recherche, d’insertion professionnelle et de service à la communauté doivent être complétées par une cinquième mission qui définit l’Université comme un centre stratégique de développement dont l’objectif est d’étudier, d’élaborer, de concevoir, de participer à la mise en œuvre de projets publics et privés sous toutes leurs formes.

’’Nous sommes tous parties prenantes, responsables et comptables des performances de notre Université. Notre défi commun, c’est de continuer à éprouver et questionner notre système pour le hisser à la hauteur de nos ambitions’’ dixit Macky Sall.


BATISSONS L’UNIVERSITÉ DE LA RÉUSSITE, DÉTRUISONS L’UNIVERSITÉ DE L’ÉCHEC !

Dr Abdoulaye Taye
Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop à Bambey
Président de TGL ( voir Tôt, voir Grand, voir Loin)

20 avril 2022

Dr Abdoulaye Taye

Un commentaire

  • La sagesse existe encore !!!!
    Merci Professeur de l’analyse pertinente et les solutions proposées pour ramener nos universités aux défis actuels !