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Une politique nouvelle de formation professionnelle s’impose * Babacar Macodou NDIAYE

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire qu’une politique nouvelle de formation professionnelle s’impose afin de mieux prendre en charge les contraintes que sont :

– L’inadéquation tant qualitative que quantitative de plus en plus grande entre formation et emploi ; – L’aggravation de la déperdition scolaire à tous les niveaux du système éducatif ; – Le chômage des jeunes avec ou sans diplôme ; – La marginalisation des structures chargées de la formation professionnelle et technique au sein des départements de l’Éducation nationale ; – L’apparition d’un secteur dynamique transversal dit «informel», véhiculant des besoins nouveaux en formation ou préformation (apprentissage), selon des modules souples et adaptés ; – La modicité des ressources disponibles au niveau de l’État.

Mais il nous faut aussi prendre en compte, last but not least, une autre contrainte qui traduit du reste de façon concomitante une nécessité intrinsèque de la formation technique et professionnelle : celle de la régionalisation qui devrait entraîner un redéploiement de la politique de formation en général, tant en ce qui concerne la carte nationale des structures d’intervention que pour les ressources disponibles.

Ainsi, il sera nécessaire de procéder à une véritable décentralisation de la formation professionnelle et technique tenant compte des besoins et des potentialités de chaque Région, voire de chaque Département ou de chaque Communauté rurale et faisant intervenir dans le cursus, outre l’État, les collectivités locales telles les municipalités, les Communautés rurales et les organisations non gouvernementales (Ong) opérant à la base, les syndicats, les associations, etc. En ce qui concerne les Ong, un certain nombre d’entre elles entreprennent déjà, depuis longtemps, des actions d’encadrement et de formation à la base qu’il s’agit de mieux coordonner et de renforcer. Quel rôle pourrait être celui des municipalités et des Communautés rurales qui sont les premières à subir les conséquences dramatiques du chômage et du désoeuvrement de la jeunesse, notamment en milieu urbain ? Voici quelques pistes de réflexion sur la formation professionnelle et la décentralisation au niveau de l’État.

AMÉLIORATION DE L’IMAGE DES FONCTIONS ET CARRIÈRES TECHNIQUES AUPRÈS DES FAMILLES ET DES JEUNES

La formation professionnelle et technique reste encore aujourd’hui considérée, par les familles et les jeunes, comme un pis-aller pour élèves rejetés par l’enseignement général, plus valorisant. Sans procéder à une analyse approfondie des origines et causes de cette situation qui perdure depuis l’époque coloniale, nous pouvons relever que cette perception négative reste confortée par l’action de l’État qui consacre la quasitotalié du budget de formation à l’enseignement général, réservant la portion congrue à la formation technique et professionnelle, et ce, malgré les taux élevés de déperdition et de chômage post-formation de l’enseignement général. Aussi, les municipalités et les communautés rurales, dans une moindre mesure, devraient participer à l’effort indispensable de revalorisation et d’amélioration de l’image de marque des fonctions et carrières techniques auprès des jeunes. Les actions pourraient être conduites, à travers les cellules de quartier ou autres cellules de base (Maisons des jeunes, Cdeps, etc.) en liaison avec les structures de l’État et en complèment des programmes d’orientation professionnelle développés par les centres existant.

RENFORCEMENT ET RENTABILISATION DES STRUCTURES EXISTANTES DANS LE CADRE DES BESOINS PONCTUELS LOCAUX

Les Communes et Communautés rurales pourraient participer au renforcement et à la rentabilisation des structures de formation existantes ou à leur réhabilitation et leur reconversion. Certaines communes pourraient ainsi contribuer à la réhabilitation des infrastructures laissées à l’abandon par les anciens services des travaux publics et autres ainsi que leurs équipements. Elles pourraient alors infléchir les actions de formation vers les programmes cibles d’intérêt local, comme par exemple, l’entretien des équipements municipaux, la reconversion des jeunes chômeurs à emplois saisonniers ou permaments liés au développement urbain (assainissement, environnement, sécurité, gestion des loisirs et des activités de vacances, etc.).

IDENTIFICATION DES BESOINS LOCAUX EN FORMATION

Les municipalités pourraient aider à identifier les besoins en formation dans le cadre des actions de «proximité» qu’elles développent pour mieux prendre en charge les besoins de leurs administrés. Ainsi, elles pourraient développer des actions telles que : – La réalisation d’enquêtes au niveau des quartiers, pour mieux cerner le chômage des jeunes, tant en nombre qu’en diversité ; – La participation à la sélection des entreprises ou structures menant localement des actions de formation ; – La participation à l’élaboration et à l’orientation des programmes de formation, pour une meilleure prise en compte des besoins locaux.

CRÉATION AU SEIN DES MUNICIPALITÉS D’UNE STRUCTURE D’ANIMATION ET DE LIAISON POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Il serait souhaitable de créer, au sein de chaque municipalité, une structure légère d’animation et de liaison. Elle serait chargée, d’une part, de définir et de proposer aux autorités municipales les actions à mener en fonction des besoins et possibilités des collectivités locales. D’autre part, cette structure assurerait la liaison avec les structures de formation de l’État ou les autres intervenants. Cependant, il ne s’agira pas de créer des structures lourdes et coûteuses en hommes et en matériels ou de véritables Centres municipaux de formation professionnelle. Les collectivités locales n’ont, en effet, ni la vocation ni les moyens de se substituer à l’État pour assurer les bases de la formation professionnelle et technique. La mission d’une telle structure locale resterait essentiellement l’identification des besoins d’impulsion des actions vers des objectifs spécifiques et de liaison avec les structures de formation existantes. Par exemple, s’agissant des Chambres de métiers dans les capitales régionales, la cellule municipale pourrait inventorier les besoins en formation et en perfectionnement pour une plus grande qualification de la main d’œuvre, ou pour l’auto organisation des artisans et l’amélioration tant qualitative que quantitative de la production etc. Les collectivités locales pourraient tirer profit des créneaux offerts par les jumelages avec les partenaires extérieurs pour assurer le financement de certaines activités entrant dans la vocation de ce type de coopération internationale – expertise ponctuelle, échanges d’informations, appuis logistiques en équipement légers(bibliothèques, matériels informatiques, etc.) Le reste des besoins de financement serait pris en charge par les Communes ou Communautés rurales dans leurs budgets, sans y occuper une part non soutenable. Ce sont-là quelques axes de réflexion pour une implication des collectivités locales dans la formation professionnelle et technique. Il est bien entendu que de nouvelles pistes pourraient être défrichées dans le cadre de la politique de décentralisation de l’État, en liaison avec les départements ministériels concernés. En tout état de cause, il nous semble que l’action des collectivités locales restera un passage obligé pour une véritable politique de formation professionnelle et technique.

Babacar Macodou NDIAYE
Ancien Proviseur du Lycée André Peytavin de Saint-Louis
Ancien Proviseur du Lycée technique fédéral Maurice Delafosse de Dakar
Administrateur Régional de l’éducation du Hcr-Nations Unies
Auteur du livre “L’Enseignement technique et la formation professionnelle au Sénégal et en Afrique de 1816 à nos jours”

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