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Le triomphe de nos impostures * Khady Gadiaga

L’actualité brûlante de cette semaine fait état de graves et inimaginables impostures commises par des franges de la société considérées comme des défenseurs de l’éthique et de la probité et garants de nos libertés. Nous tombons des nues car subrepticement, ces coups de massue nous plongent dans le monde de la désillusion et de la supercherie contemporaines. Amer constat : le ver est dans le fruit et nos hommes providentiels, remparts de notre quiétude sont de vulgaires imposteurs, virtuoses de l’apparence et de l’apparat qui absorbent les discours d’autrui. La forme devient le fond et masque un vide profond. Ils sont le prototype de l’adaptation et de l’habileté sociale, le sujet idéal des façonneurs de comportements. Mais à y réfléchir de plus près, faudrait-il s’en offusquer, tant il est vrai que nous autres, Sénégalais, nous sommes hâbleurs, un tantinet roublards, ni très organisés ni prévoyants? Nous aimons par dessus tout le faste et la représentation. Au-delà du côté anecdotique mais éclairant de ce constat, il faut retenir que l’usage publique de notre « volontarisme », sans objectif réaliste ou sans outils et moyens adaptés d’exécution, n’est rien d’autre que destructeur…En parodiant La Fontaine : « Rien ne sert de parler quand on ne peut rien faire ».Aujourd’hui, avec les différentes crises que nous traversons, et qui ne sont pas seulement financières, économiques, politiques, sociales, mais aussi morales, il convient de fissurer cette représentation du monde qui nous conduit dans un monde de carton-pâte et d’imposture.Et c’est même à se demander si nos impostures ne sont pas nos véritables triomphes? Les fausses valeurs, les consensus mous et la tiédeur généralisée, la fausse dévotion, les fausses indignations, les solidarités maquillées, le clinquant des corps sociaux ne sont supportables que passés par les armes d’une dérision salvatrice. Derrière la grande farce du vide, se déploie la face hideuse de nos canulars, escroqueries, mystifications et autres impostures tellement humaines et qui servent d’abord à nous mettre devant nos vanités. O Wilde, dans son éloge du faux nous montre à quel point nos faits d’armes ne sont jamais bien loin de l’illusionnisme. Dilemme cornélien ou monde à déconstruire? Ce mal, c’est une gangrène insidieuse, qui mine notre démocratie, autrefois tant vantée à travers le monde, par petits coups, qui l’ampute à petites doses. Les médias et particulièrement sociaux sont devenus une arme à double tranchant : utiles pour maintenir le contact avec les proches et dévastateurs lorsqu’ils deviennent un outil de propagande, de chantage et de vengeance. Le manichéisme socio-politique qui positionne le débat en termes de bien ou mal, a pour conséquence l’éclatement des compromis sur lesquels, le pays s’est forgé. Les contre-pouvoirs sont subtilement démantelés ou rendus impuissants les uns après les autres. L’omnipotence de la fonction présidentielle interdit tout débat constructif (circulez y’a rien à voir). La communication tient lieu de réflexion. L’accointance entre le politique et l’économique créé une chappe épaisse qui autorise des décisions politiques où l’intérêt particulier prime sur l’intérêt général.Les choses se décident dans l’obscurité des liens entre les décideurs politiques et économiques. Les citoyens, de sujets deviennent de plus en plus objets. Hébétés, incapables de hiérarchiser les choses et les évènements, ils deviennent des spectateurs inertes et subissent de plus en plus les choses comme une fatalité divine. La misère, la précarité, le chômage, les atteintes aux libertés individuelles et collectives, la remise en cause de l’indépendance des pouvoirs, la casse du contrat collectif qui fondait le sentiment d’appartenir à une nation, à un peuple, tout cela aujourd’hui émerge sous les coups d’un système directif, secoué cà et ĺà de soubresauts ethnicistes et où la démocratie qui se justifie aussi par l’existence du vote peine à renouveler ses représentants. Pour revenir à nos actes délictueux, qu’ils soient majeurs ou mineurs, restent tout de même des actes manqués. Prenant la mesure du phénomène, aucune mesure isolée de moralisation, ni la réforme de l’administration, ni celle de la justice ou des marchés publics ne peut venir à bout de l’acceptation implicite du mal qui est d’ordre culturel. Un mal insidieusement lové dans le substrat et l’imaginaire collectif des sénégalais. Osons toutefois faire partie de ceux qui croient et qui ne cessent de le réitérer que la mal gouvernance, la corruption et la gabegie ne sont pas une fatalité. Encore faut-il qu’il y ait une volonté politique et une adhésion populaire de s’y attaquer et de les combattre à tous les niveaux.D’aucuns pensent que la particularité du Sénégal quant au traitement des dessous de table, réside dans sa banalisation au point d’en faire un simple fait social et une réalité ordinaire. En l’absence d’initiatives individuelles ou collectives de production de richesses, l’Etat reste la seule vache à lait. Cet état de fait inhibe toute initiative et transforme certains agents de l’Etat, mais surtout ceux qui sont au pouvoir ou proches, en de véritables sangsues. Rien n’est plus destructeur pour une société que la course vers “l’argent facile et rapide” qui fait apparaître ceux qui travaillent honnêtement et durement comme des imbéciles naïfs.Une campagne ou même une politique de moralisation de la vie publique restera toujours menacée d’un retour en arrière tant qu’elle apparaîtra comme une concession momentanée du pouvoir et qu’elle ne sera pas garantie par une exigence citoyenne. Il serait dès lors d’une grande naïveté de croire à un changement ne serait-ce que d’un iota de la culture politique des élus et dirigeants de nos institutions et organismes publics au cours des cinq prochaines années si le système de gouvernance reste enlisé dans la maldonne et la non-reddition des comptes malgré les voeux pieux de nos dirigeants en faveur d’une gestion des affaires sobre et vertueuse.La réflexion commande de porter un intérêt particulier sur les voies et moyens d’arriver à un consensus autour de valeurs citoyennes correspondant à un nouveau projet de société qui réconcilie les sénégalais avec leurs cultures, leurs gouvernants et les exigences du monde actuel. L’urgence est de trouver les formules d’adaptation pour que la famille continue à assurer son rôle d’éducation sociale et spirituelle, mais aussi de formation et de préservation de nos valeurs. C’est pourquoi, il serait intéressant de concevoir la famille comme étant une question politique ; c’est à dire en relation avec la réalisation du projet démocratique, car l’échec de cette institution entraînera ipso facto l’échec de la société dans sa totalité. Dans cette perspective, nos gouvernants actuels et tout autre leader politique aspirant à gérer ce pays est dans l’obligation d’intervenir par le biais de programmes, dans les espaces de construction de la citoyenneté que sont essentiellement la famille, l’école et les médias.Il nous faut une vision prospective pour reconstruire le Sénégal d’aujourd’hui et parvenir à bâtir la société de demain que nous désirons.L’élection du prochain président doit prendre aussi en compte son engagement sur cette question fondamentale. Que nous reste t-il donc à faire? Célébrer ! Célébrer nos ratages. Plus de podiums, plus de fausses gloires, simplement le bonheur d’être vivant. On a problablement plus de regrets que de fiertés à partager en ces moment de sinistrose. De la crise sans précédent, liée à la pandémie du Covid 19, nous aurons au moins appris que, si nous pouvons nous transmettre le pire, nous pouvons aussi nous transmettre le meilleur. Simplement parce que nous sommes humains. Puissent ces moments de désillusions marqués du sceau de nos turpitudes et de nos interrogations être pour nous des leçons apprises et des ponts jetés vers un avenir en harmonie avec la prise en compte de tous les segments de la nation.

K.G

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