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Le Sénégal et ses ressources : une question de souveraineté (Par Dr Abdourahmane Diouf)

D’ici quelques années, notre pays ne sera plus le même. Nous ne serons plus seulement le pays de la monoculture de l’arachide ou de la pêche dévoyée par des licences controversées. Nous serons aussi un pays du gaz et du pétrole. Il nous faudra nous ajuster vers d’autres modes de gouvernance du pays et définir ensemble une diplomatie adaptée à nos ressources naturelles. Nous ne serons plus ni vus ni traités de la même façon. Nous n’aborderons plus nos partenaires de la même façon. Nous serons un peu plus riches. Il nous faudra la confiance et l’arrogance du riche, toutes proportions gardées.

Chaque pays se définit en fonction des intérêts géostratégiques auxquels il fait face. La géopolitique lui dicte sa diplomatie tout autant que les exigences géoéconomiques. Nous avons toujours été un acteur marginal du système mondial. Acteur sous tutelle métropolitaine d’abord, sans possibilité de se définir des intérêts propres et à fortiori de les défendre. Nous n’avions pas de point de vue, pas de goût, pas de vision, pas d’orientations stratégiques. Nous existions à travers les autres qui, généreusement, nous offraient des choix de vie censés être les meilleurs pour nous. Nos richesses n’étaient pas les nôtres. Nous exportions des arachides que nous n’avons pas, nous-mêmes, choisi de cultiver. Nous importions du riz que nous n’avions pas choisi de consommer. Nous n’avions pas une richesse et des désirs propres à impulser, des stratégies propres. Tout autant nos ressources que nos intellects étaient préemptées au service d’une République allogène. Nous n’avons pas fait mieux avec la République importée, celle qui est censée être la nôtre avec l’avènement des indépendances. Sans qu’on nous prenne à la gorge et sans contrainte officielle connue, nous avons fait le choix de n’exercer aucune souveraineté sur nos ressources. Notre rapport au marché international a continué à fonctionner suivant les mêmes paradigmes, d’essence coloniale, sans être assujetti à une tutelle formelle. Nous n’avons mis en place aucune stratégie de gestion autocentrée de nos ressources. Nous avons continué à jouer avec des règles d’un jeu géostratégique auquel nous n’avons pas participé à l’élaboration des règles. Nous n’avons manifesté aucune volonté de changement paradigmatique qui nous inclinerait à exister par nous-mêmes, avec nos propres exigences. Nous nous sommes fourvoyés à défaut de trop miser sur les intelligences des autres pour administrer nos propres ressources. Les premiers éléments visibles ont été la détérioration des termes de l’échange, dénoncée par Senghor. Ce n’était que la face visible. Le mal était profond, à force de renoncer à exercer une réelle souveraineté sur nos ressources.

Cette situation s’est détériorée depuis lors. Les deux dernières décennies ont été jalonnées de contrats dont le baromètre n’a pas été les intérêts économiques et commerciaux intrinsèques du Sénégal. Nous avons, très souvent, été lésés par défaut de capacités de négociation et par félonie d’acteurs individuels à l’égo surdimensionné, transcendant les intérêts supérieurs de la nation. La survenue d’une nouvelle génération de ressources naturelles, le pétrole et le gaz notamment, nous exige une nouvelle diplomatie plus offensive, plus fière et plus patriotique. Un complexe immanent à notre trajectoire politique nous fait encore penser que ceux qui viennent nous acheter nos services nous rendent service. En leur cédant nos ressources, nous accédons à leur satisfaction primaire. Et leur joie suffit à notre bonheur. Nous avons poussé notre désinvolture stratégique jusqu’à brader des ressources dont la bonne gestion aurait garantie un avenir de prospérité à plusieurs générations de sénégalais.

DR Abdourahmane DIOUF

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