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Il faut sauver le Cames… (Par Isaac Yankhoba Ndiaye)

(La crédibilité en berne du CAMES et du concours d’agrégation en Sciences juridiques et politiques et en Sciences Economiques et de Gestion)
Le CAMES m’a presque tout donné ; il m’a permis de poursuivre une carrière universitaire souhaitée par tout enseignant. J’ai essayé, autant que faire se peut, de rendre, dans une certaine mesure, ce qu’il m’a offert, en dispensant des enseignements pendant 40 ans dans la plupart des universités africaines relevant de son ressort, en accompagnant une quinzaine de jeunes collègues jusqu’à la thèse, en participant régulièrement aux séances de préparation du concours d’agrégation au Sénégal et ailleurs. Il m’a aussi permis de participer en qualité de membre du jury à trois concours successifs.
Grâce à lui, j’ai pu exercer diverses responsabilités au sein de ma faculté ; servir aussi mon pays au plus haut niveau de la magistrature.
S’il m’arrivait d’affirmer que notre carrière universitaire n’a pas été inutile nous serions certainement tenus d’ajouter que le CAMES, sans aucun doute, y aura joué un rôle majeur.
Pourtant aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de rejeter sans retenue l’orientation prise par le CAMES depuis quelques temps, et surtout, depuis qu’il a été décidé de faire passer le concours en ligne, du moins pour ses premières épreuves.
Le recours à la technologie s’est imposée à un certain moment, celui de la Covid 19 ; de la surprise, on est passé à l’action et ainsi, on est parvenu à juguler la pandémie. Le CAMES avait suivi le mouvement et, tant bien que mal, s’en était sorti.
Aujourd’hui, le contexte a profondément changé, même si parfois, il est signalé que la période n’est pas totalement blanche.
Pourquoi le CAMES a-t-il alors jugé nécessaire de faire subir une partie du concours en ligne ?
Certains estiment que c’est par souci de ménager ses finances ; nous, on a du mal à croire à une telle explication ou justification qui ne peut être qu’un prétexte de mauvais aloi : faut-il rappeler que le concours est payant pour tous les candidats ; que c’est le pays d’accueil qui prend en charge l’essentiel des frais y afférant ; que le CAMES fait voyager l’ensemble des jurys en classe économique qui y rencontrent fatalement les candidats à évaluer, et ce, après avoir cherché et trouvé les tarifs les moins chers ; que ces jurys arrivent, à un jour prés, la veille du concours ; que bien souvent, le staff du CAMES qui sait voyager en groupe, est mieux logé que les membres du jury à qui, on rappelle à l’envi que leur devise est l’altruisme essayant ainsi de légitimer les sommes dérisoires qui leur sont allouées.
Mais ce qui nous interpelle ici, ce sont les modalités d’organisation dudit concours.
Que de cacophonies depuis la prise de décision !
Nous sommes d’avis que celle-ci est tout simplement irréfléchie et inconséquente : tous les pays n’ont pas le même plateau technique pour une telle « aventure ». La connexion n’est stable nulle part, si elle existe ; peu de candidats se sentent à l’aise devant la caméra, et c’est normal parce qu’ils n’y ont jamais été préparés ; les informations qui leur sont données bien souvent tardivement et sont bien souvent obscures , incertaines et contradictoires ; chez les membres du jury le désarroi est abyssal : si on ne leur envoie pas des messages peu orthodoxes, à l’exclusion, peut être, des présidents de jury, ils sont presque tous dans l’incertitude la plus totale ; rares sont parmi eux, ceux qui savent réellement ce qui se passe jusqu’à ce qu’un chargé de programme ait l’amabilité de leur communiquer ce qui a été décidé, ou la conduite à tenir provisoirement, en attendant que l’on prenne la décision définitive, pour laquelle aucune échéance n’est prévue.
En réalité, il faut reconnaître que le CAMES marche à l’aveuglette, il va à vau- l’eau. Or, pour une institution de cette nature, c’est une faute inexcusable, avec toute la connotation qui s’attache à une telle qualification.
On a l’impression, qui a fini par devenir une conviction, que rien n’a été préparé, en toute conscience.
Le CAMES réduit le concours à une simple prestation numérique, donc dépourvue d’âme, de sensation, de sensibilité, de solidarité entre les candidats, de pression partagée, de souffrances, de persévérance dans l’effort, de discussions réflexives de proximité entre membres du jury et finalement tout simplement d’humanité.
Le concours est naturellement élitiste : on cherche les meilleurs parmi les meilleurs ; mais encore faudrait-il y procéder avec et dans les conditions idoines. C’est loin d’être le cas en 2023 avec ce qui est en train de vouloir se faire.
L’improvisation s’est installée presque partout : comment peut-on changer les règles d’organisation du concours à moins d’une semaine du début des épreuves ?

Les séances de simulation effectuées à Dakar ont révélé systématiquement des défaillances qui peuvent paraitre mineures mais qui, en réalité, dénotent l’aléa majeur qui plombe le système : décalages fréquents entre le son et les images, interférences répétées, son bloqué, voix inaudibles…
Les candidats sont tous sérieusement et profondément déstabilisés ; généralement, si on échoue à un examen ou à un concours, c’est certainement pour avoir péché sur tel ou tel point. Ici, parmi ceux qui pourraient ne pas réussir, il ne serait pas superflu de l’imputer, dans une large mesure aux inconséquences du CAMES.
Il faut sauver le CAMES !
Nos braves collègues membres de jury doivent bien se demander ce qui leur arrive ; ceux qui nous viennent de l’Extérieur doivent certainement (sou) rire, sous cape, faute de pouvoir s’esclaffer comme cela aurait dû être ; leur condescendance intérieure est loin d’être feinte.
Quant à nous autres, il nous faut refuser de cautionner une telle mésaventure et cette mise en scène si médiocre et de très mauvais goût.
Peu importe à cet égard, que le CAMES se soit partiellement ravisé en ramenant les deux dernières épreuves en présentiel, sur proposition, semble-t-il des présidents de jury après que le CAMES se soit enfin résigné à écouter.
On ne peut laisser le CAMES agir à sa guise en dénaturant totalement l’esprit et l’âme du concours d’agrégation.
Mais réagir seulement est insuffisant : il est surtout question d’agir vigoureusement pour mettre un terme à cette mascarade programmée.
Il serait ensuite pertinent de faire auditer le CAMES, pas seulement dans ses méfaits du moment, mais aussi dans sa gestion technique financière et académique.
L’évaluation faite récemment sur l’institution n’a certainement pas été consultée par ceux à qui elle était principalement destinée.
Vivement que l’on soit préservé du CAMES qui se perd de chemin à chaque instant qu’il prétend innover. C’est peut être parce que le moment ici est hors propos que les changements intervenus dans les CTS sont épargnés d’une mise à l’index tout autant justifiée.
Il nous étouffe à petits feux, sans en prendre conscience; c’est en cela que c’est effarant et qu’il devient impératif de le freiner dans sa folle escapade, en limitant déjà les dégâts qui pourraient devenir irréversibles demain.

Isaac Yankhoba NDIAYE
Agrégé des facultés de Droit
Professeur Titulaire de classe exceptionnelle
Doyen Honoraire de la faculté des Sciences juridiques et politiques UCAD
Ancien Vice Président du Conseil Constitutionnel
Président du Conseil d’Administration du Centre de Formation Judiciaire (CFJ)

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