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Drames récurrents dans les hôpitaux sénégalais :l’optimisation qualitative, une priorité (Contribution)

Les multiples tragédies qui secouent les structures de santé sénégalaises ont remis sur le devant de la scène la question des évolutions urgentes nécessaires pour sauver le système de santé. Des acteurs locaux et de la diaspora invitent les décideurs à s’emparer des vrais sujets relatifs à la situation de l’hôpital : pertes de chances, ruptures de prises en charge, mécontentements des personnels, difficultés persistantes d’accès aux soins… Cette tribune constitue une démarche apolitique, sans complaisance et sincère qui vise à poser les bases d’un débat structurant sur la refondation du système de santé, en particulier de l’hôpital public. C’est notre responsabilité collective de participer à la reconstruction de cette œuvre pour les générations présentes et à venir. Cet appel qui réunit 30 signataires a été initié et coordonné par messieurs Momar FAYE (inspecteur de santé publique en France), Khadim NGOM (Cardiologue en France) et Massamba DIOUF (Professeur des universités et spécialiste en santé publique au Sénégal). Des drames répétitifs qui contraignent l’hôpital sénégalais d’agir en toute urgence pour mettre fin à ce contexte d’insécurité persistant ! Nous nous sommes réveillés ce 26 mai 2022 dans la stupeur et la consternation avec cette terrible nouvelle abasourdissante : « au Sénégal, onze bébés meurent dans un incendie à l’hôpital de Tivaouane ». Parmi ces 11 jeunes victimes, se trouvait le bébé – M.R.G – âgé à peine de vingt-quatre jours et né prématurément, car sa maman âgée de 33 ans, sans antécédent médical et sans aucune comorbidité, est malheureusement décédée pendant la césarienne (alors qu’elle présentait une pré-éclampsie). Quatre nouveau-nés avaient quant à eux, déjà péri le 25 avril 2021 dans un incendie à Linguère… Ces faits dramatiques ne sont pas sans rappeler l’affaire « Madame A.S », une femme enceinte morte après avoir attendu en vain une césarienne. Ce drame demeure encore dans les esprits.

Par ailleurs à Kaolack, on apprenait qu’un nourrisson déclaré mort le 8 mai dernier par une infirmière, puis déposé à la morgue, avait été retrouvé vivant par son père quelques minutes après, pour finalement décéder plus tard dans la journée. La récurrence et la fréquence de ces situations sont bien le reflet d’un système de santé perfectible ayant pour conséquence une réelle perte de chance pour l’usager sénégalais. Devrions-nous toutefois nous résigner face à la mort et aux conséquences somatiques et psychologiques induites par cette insécurité persistante ? S’il est établi que l’hôpital fait face à des problèmes multifactoriels enkystés depuis de nombreuses années, et qui l’expose malheureusement trop souvent à des risques susceptibles d’affecter la santé et la sécurité des patients, force est de reconnaître que cela n’empêche en rien notre pays de s’engager sérieusement dans une autre voie. Cet engagement n’est pas un vœu pieux qui doit être évoqué au rythme des tragédies nationales. Cela demande une vision politique forte et une action coordonnée notamment au moyen d’une réorientation sur une politique effective de démarche qualité et de gestion globalisée des risques. Il s’agit là d’un enjeu majeur de santé publique qui requiert de mettre ensemble tous les mécanismes, ressources et compétences permettant de mettre en place une offre adaptée aux besoins des populations. Des mesures d’urgence à prendre à la hauteur des enjeux ! Des mesures doivent être prises immédiatement. Le président de la République l’a bien spécifié dans son discours de Tivaouane : « il convient d’auditer de toute urgence les services de néonatologie ». Cependant, cette mesure doit, dans les plus brefs délais, être étendue à l’ensemble de la sphère médico-technico-économico-administrative de nos hôpitaux publics. Cette procédure d’audit a tout à gagner si elle s’accompagne d’une prise de conscience collective que l’hôpital et le matériel qui l’équipe sont un bien commun qui doit bénéficier de toutes nos attentions en matière de maintenance et de maintien en état opérationnel. Ce qui est l’essence même du principe d’assurance qualité ; lequel contribue à la sécurité des patients, des soignants et de leurs visiteurs. A ce titre, la Diaspora à un rôle essentiel à jouer. En venant, par exemple, participer à cette procédure d’audit transversale de l’écosystème hospitalier à travers des missions ponctuelles, c’est tout le système hospitalier sénégalais qui pourrait bénéficier d’un transfert de culture et de compétence en matière d’assurance qualité qui relève du quotidien et de l’évidence dans la majorité des pays où nos professionnels de santé exercent aujourd’hui.

Concernant la sécurité des personnes et des biens à l’hôpital, il y a urgence à mettre en place une nouvelle architecture organisationnelle incluant de nouveaux référentiels et contrôles effectifs et ce, en accord avec les spécificités du système de santé sénégalais. Cela doit passer par une mise à jour de la législation liée à la sécurité des Établissements Recevant du Public (ERP), en y incluant notamment un volet spécifique « Sanitaire ». Ces normes et référentiels établis devront s’accompagner d’un dispositif de contrôle périodique et aléatoire par des services ad hoc compétents. Ainsi, le principe d’une visite systématique obligatoire de contrôle de la conformité avant chaque ouverture de service et/ou de structures devra être formalisé sur la base d’un dossier de présentation suivi d’une visite physique effective sur site. Aucune tolérance ne pourra être admise en cas de manquements graves à ces référentiels. Ce qui aboutira dans les faits à ce qu’aucune ouverture ne puisse être autorisée sans une levée des observations engageant la responsabilité des services contrôleurs de l’État. Parallèlement, des fermetures administratives ainsi que des sanctions pénales pourront également être prononcées à l’encontre des personnes morales et/ou physiques qui dérogeraient à ces principes de gestion. La mise en danger de la vie d’autrui avec intention ou non, accompagnée de facteurs aggravants ou non, sera ainsi prévue et punie par la loi. A terme, l’implantation durable d’une culture de qualité et de gestion des risques au sein des établissements est nécessaire aux fins de faire progresser les pratiques et de garantir la sécurité des patients. Cela passe par la mise en œuvre d’un dispositif opérationnel adapté de recueil, d’analyse et de suivi des incidents importants ou des évènements indésirables graves permettant de protéger la santé et la sécurité des personnes prises en charge. Tous les signaux sanitaires émanant des usagers devront être recueillis grâce à la mise en place de points focaux disponibles et faire systématiquement l’objet d’un traitement et d’une réponse aux déclarants. Tous les établissements devront être soumis à une obligation de signalement aux autorités des événements indésirables graves notamment ceux associés aux soins. La culture du signalement doit être une valeur et une norme partagée au sein de l’établissement. La création d’une haute autorité ad hoc permettra de recevoir ces déclarations, de les analyser et de réaliser un rapport annuel assorti de mesures visant à améliorer la sécurité du patient. La mise en œuvre d’un tel dispositif facilitera l’identification et le ciblage des établissements les plus à risques et permettra un meilleur calibrage des actions à conduire (inspection, audit, évaluation, certification…).

La question du pilotage du système demeure centrale ! En effet, ces mesures et réformes nécessitent un pilotage effectif par les décideurs publics tout en favorisant l’émergence d’approches globales, transversales et intégratives. Cet ambitieux plan de réformes de la santé devra ainsi s’appuyer sur des transformations systémiques impactant le système de l’Offre de soins, de son Financement, de sa Gouvernance mais également de son système Qualité. En matière d’Offre de soins, le Sénégal est aujourd’hui en capacité de pouvoir se projeter pour offrir une nouvelle vision en ce qui concerne le maillage des offreurs de santé (au niveau de toute la pyramide sanitaire). La question sous-jacente du financement devra être abordée avec l’ensemble des parties et partenaires, pour envisager des scénarii viables et équilibrés de mise en œuvre effective de ce nouveau système, tant attendu et surtout tant souhaité par nos compatriotes sénégalais. Cette évolution exige une gouvernance et un leadership qui doivent renvoyer à un engagement fort des autorités concernant le recrutement de top-managers aux niveaux central et territorial. La sélection de ces profils nécessitera des appels à candidatures en dehors de tout clientélisme politique ou partisan. Ce nouveau système devra s’appuyer sur des nouveaux modes de gestion basés sur la confiance des acteurs, sur la considération mais également sur les compétences disponibles sur place et celles capitalisées par la diaspora. La réflexion sur ce dernier point devra associer les acteurs du monde de l’éducation et de la formation pour accompagner ce plan ambitieux stratégique qui intégrera les derniers référentiels en matière de qualité et de gestion des risques. Les assises de la santé, une impérieuse nécessité pour sauver et réformer le système de santé ! Dans cette perspective, le Sénégal doit s’appuyer sur une vision globale, une planification stratégique et une coordination effective qui admettent et comprennent la logique et la complexité des enjeux de santé (dans toutes ses dimensions) au sein de ses territoires. Cela exige d’impliquer et de réunir au premier chef les professionnels de santé (aux niveaux local et de la diaspora) pour définir collégialement des stratégies et mettre en œuvre des actions et projets, susceptibles de relever à long terme et dans le cadre d’une approche davantage équilibrée, les défis sanitaires posés. C’est en travaillant étroitement avec sa diaspora que le Sénégal pourra s’émanciper et s’engager dans une révolution sanitaire qui lui permettra de disposer d’un système de santé plus équitable et plus participatif. Le ministère est destinataire de nombreux rapports et synthèses provenant de diverses sources censées lui apporter une vision plus large des questions de santé et propice aux innovations. Toutefois, les logiques et les temporalités propres à ces différentes sources concourant à la production de données et d’informations réputées fiables et à jour, à même d’éclairer les prises de décisions, aboutissent à des distorsions parfois handicapantes voire contreproductives. Les assises de la santé (impliquant les acteurs locaux et diasporiques) – si elles regroupent les ressources et les profils adéquats – répondront à des objectifs multiples : – apporter aux décideurs sénégalais l’opportunité de garder la maitrise du pilotage des situations qui se présentent en ayant à tout instant la possibilité de bénéficier, sans délai, d’une vision et d’une analyse holistiques de premier ordre ; – recenser, établir sur la base d’un guide opérationnel, les initiatives innovantes existantes dans les pays les plus avancés et préparer les conditions de capitalisation et de réplicabilité sur notre pays ; – renforcer les ressources humaines du pays dans le domaine de la santé en faisant participer les professionnels de la santé issus de la diaspora sénégalaise et préparer, pour ceux qui sont candidats au retour au Sénégal, les conditions favorables à leur installation ; – proposer des solutions originales, innovantes et opérationnelles qui se traduiront par des textes et des réalisations de terrain. Dans ce cadre, la création d’une école des hautes études en qualité et sécurité sanitaire prendrait toute sa place pour former les administratifs, les soignants et leurs prestataires à la culture de l’assurance qualité et de la sécurité des soins. La traduction ainsi de ces objectifs requerra une gouvernance structurée, laquelle devra promouvoir une large concertation multisectorielle, incluant toutes les franges de la population sénégalaise et une coordination à visée effective avec la mise en place de commissions et sous commissions thématiques (Offre, Pilotage-gouvernance, Financement, Qualité…). Il s’agit bien pour notre cher pays le Sénégal de se saisir d’un contexte dramatique pour se réveiller, inviter au changement de comportement et se mettre en ordre de marche pour sortir de cette résignation, qui peut et ne doit en rien nous inciter à considérer ces situations comme une fatalité… sans espoir, ainsi d’y faire face collectivement.

Cette tribune est signée par :
Pr Mbayang NDIAYE, Ancienne coordinatrice de la cellule télésanté du ministère de la
santé et de l’action sociale, Spécialiste en santé publique et en santé digitale – Sénégal
Pr Massamba DIOUF, Professeur des universités, spécialiste en santé publique – Sénégal
Pr Lamine NDIAYE, Professeur des universités, Anthropologue
Dr Khadim NGOM, Cardiologue – France
M. Momar FAYE, Inspecteur de santé publique, Président fondateur du Cercle Santé pour
l’Afrique – France
Dr Maguette BA, Chirurgien cardiaque – France
Dr Thiendella DIAGNE, Gynécologue obstétricien – USA
Dr Mbathio DIENG, Epidémiologiste, spécialiste en santé publique – Australie
Dr Isabelle MOREIRA, Spécialiste en santé publique, Gynécologue obstétricien – Sénégal
Pr Abdoulaye NIANG, Psycho-sociologue, Président fondateur de l’université Kocc Barma
de Saint – Louis – Sénégal
M. El hadji Moussa NDIME, Ingénieur génie civil, Spécialiste contrôle technique et sécurité
incendie – France
M. Alé BOUSSO, Ingénieur génie civil, Spécialiste en sécurité incendie ERP – France
Dr Malick NIANG, Anesthésiste réanimateur – Sénégal
Mme Rama DIONGUE, Cadre de santé – France
Dr Alioune Badara DIOUF, Gériatre – France
Dr Khady FALL, Anesthésiste réanimateur – Sénégal
Pr Anna THIAM, Cardiologue – Burkina Faso
Pr Moustapha DRAME, Professeur des universités, Epidémiologiste, Economiste de la santé – France
Dr Massamba FAYE, Généraliste – Sénégal
Dr Kanny TOURE KAÏRE, Médecin de santé publique, Economiste de la santé – France
Pr Fatimata LY, Professeure des universités, Dermatologue – Sénégal
M. Karim AMRI, Directeur d’hôpital, Expert international en gestion hospitalière et
système de santé – France
Dr Adama BA FAYE, Réanimateur médical – France
Dr Jan – Cédric HANSEN, Vice – Président du Global Health Security Alliance, Professeur
invité de l’université L.S. Senghor en Egypte et Spécialiste en médecine de catastrophe –
France
Pr Sidy KA, Cancérologue – Sénégal
Dr Angèle Flora MENDY, Sociologue, Takemi Fellow in international Health Harvard – USA
Dr Edouard SENE, Psychiatre – France
Dr Papa El hadji THIAM, Pharmacien – France
Pr Mbaye THIOUB, Professeur des universités, Neurochirurgien – Sénégal
M. Ibrahima TRAORE, Financier spécialiste des secteurs de la santé, du médico-social et
de la solidarité internationale – France

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