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Comprendre le report de l’élection présidentielle du 25 février 2024 (Par Ismaila Madior Fall)

  1. Qui a initié le report de l’élection présidentielle ?
  • Ce n’est pas le Président de la République qui en a pris l’initiative.
  • Le report a été initié par le groupe parlementaire du Parti démocratique sénégalais (PDS) ” Liberté, Démocratie et Changement “
  • Ce groupe a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale la « proposition de loi constitutionnelle portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution de la République du Sénégal ».
  • Article premier. – « par dérogation à l’alinéa premier de l’article 31 de la Constitution aux termes duquel « Le scrutin pour l’élection du Président de la République a lieu quarante- cinq jours au plus et trente jours au moins avant la date d’expiration du mandat du Président de la République en fonction », le scrutin pour l’élection présidentielle est reporté jusqu’au 25 août 2024 ».
  • Cette proposition de loi a pour objet de reporter la tenue de l’élection présidentielle en août 2024 et permet au Président en exercice de rester en fonction jusqu’à l’installation de son successeur.
  • Un amendement parlementaire a porté la date de la tenue de la prochaine présidentielle au 15 décembre 2024.
  1. Quelles sont les raisons justificatives du report ?
  • La crise entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel sur une supposée corruption de juges constitutionnels.
  • La création d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur cette affaire et, au-delà, sur les modalités de vérification des candidatures par le Conseil constitutionnel
  • La réfutation des accusations par les membres du Conseil constitutionnel qui demandent que la lumière soit faite sur cette affaire.
  • La découverte de fraudes commises par des candidats sur leur nationalité pour faire passer leur candidature.
  • Le jet de discrédit sur le Conseil constitutionnel juge électoral source d’un rejet du verdict des urnes (potentiel contentieux électoral)
  • Risques de contestations des résultats des élections et de dérapage préjudiciable à la stabilité politique du pays.
  1. Quelle est la procédure mise en œuvre pour le report ?
  • C’est une proposition de loi constitutionnelle émanant des députés, notamment du groupe parlementaire du PDS
  • Cette proposition a été envoyée, pour avis, au Président de la République qui en a pris acte.
  • La proposition a été adoptée en commission et approuvée à la majorité des 3/5 des suffrages exprimés par l’Assemblée nationale le lundi 5 février 2024.
  • Ce n’est pas une révision ou modification de la Constitution, mais une dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution qui permet un réaménagement du calendrier électoral et non une remise en cause de la durée du mandat prévue par l’article 27 de la Constitution. Pour rappel une loi constitutionnelle peut avoir pour objet de modifier la Constitution ou de déroger à une ou plusieurs dispositions de la Constitution.
  • La disposition relative à la durée du mandat et toutes les autres dispositions de la Constitution restent intactes, en l’état.
  • La disposition dérogatoire a vocation à être ponctuelle, conjoncturelle, transitoire et cesse d’être en vigueur dès l’organisation de la prochaine présidentielle.
  1. Quel est le rôle du Président de la République sur la mise en œuvre du report ?
  • Le Président n’en est pas l’initiateur.
  • Il doit juste donner un avis favorable ou défavorable ou alors en prendre acte. Il a préféré la troisième option.
  • Après le vote de la loi constitutionnelle, il appartient au Président de la République de procéder à sa promulgation dans les délais indiqués par la Constitution.
  1. Quelle est la date de la prochaine présidentielle ?
  • Avec l’approbation de cette loi constitutionnelle, la date de la prochaine présidentielle est celle y indiquée, c’est-à-dire le 15 décembre 2024. Pour rappel, la première présidentielle du Sénégal avait été organisée le 1er décembre 1963.
  1. Quand expire le mandat du Président de la République avec l’adoption de la loi constitutionnelle ?
  • Le principe est clairement formulé comme suit : « Le Président en exercice poursuit ses fonctions jusqu’à l’installation de son successeur », c’est-à-dire à l’installation du Président qui sera élu le 15 décembre 2024.
  • Cette installation se fera au mois de janvier en cas de dénouement de l’élection en un tour unique et en février en cas de double tour.
  1. Est-ce que le Conseil constitutionnel peut censurer la loi constitutionnelle ?
  • Non. Il est de jurisprudence constante que le pouvoir constituant est souverain et ne peut faire l’objet de contrôle.
  • En conséquence, le Conseil constitutionnel s’est toujours déclaré incompétent pour contrôler une loi constitutionnelle. Autrement dit, il y a une injusticiabilité de la loi constitutionnelle.
  • Dans le même sens, le décret n°2024-106 du 3 février 2024 portant abrogation du décret n° 2023-2283 portant convocation du collège électoral relève, selon une jurisprudence constante, de la catégorie des actes de gouvernement insusceptibles de recours pour excès de pouvoir.
  • Au total, la loi bénéficie de l’injusticiabilité constitutionnelle, le décret de l’immunité juridictionnelle.
  1. Est-ce qu’il y a des précédents de lois constitutionnelles dérogatoires à la Constitution ?
    Bien sûr, au moins deux précédents peuvent être cités.
  • 1er précédent : Loi n° 62-62 du 18 décembre 1962 portant modification de la Constitution
    L’Assemblée nationale après en avoir délibéré, a adopté en sa séance du 18 décembre 1962, à la majorité qualifiée des 3/5.
    Le Président de la République promulgue la loi constitutionnelle dont la teneur suit :
    Article unique
    Il est ajouté à la Constitution de la République du Sénégal un article 66 bis, ainsi libellé :
    Art. 66 bis
    Par dérogation aux dispositions des articles 25, 53 et 66 de la Constitution fixant les pouvoirs et les attributions du Président du Conseil, le Chef de l’Etat devient Chef de l’Exécutif.
    Il peut soumettre au référendum un projet de révision constitutionnelle, après avis du Président de l’Assemblée nationale, du Conseil des ministres et d’une commission spéciale de l’Assemblée.
    La présente loi sera exécutée comme Constitution.
  • 2ème précédent – Loi constitutionnelle n° 2007-21 du 19 février 2007 modifiant la loi n° 2006-11 du 20 janvier 2006 prorogeant le mandat des députés élus à l’issue des élections du 29 avril 2001

L’Assemblée nationale a adopté en sa séance du mercredi 07 février 2007 et à la majorité des 3/5 des membres la composant ;

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article unique.- L’article unique de la loi constitutionnelle n° 2006-11 du 20 janvier 2006 est modifié ainsi qu’il suit :

« Par dérogation à l’alinéa premier de l’article 60 de la Constitution, le mandat des députés élus à l’issue des élections du 29 avril 2001 est prorogé pour être renouvelé le 03 juin 2007 ».

La présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat.

  1. Est-ce qu’il y a un précédent de report d’une élection présidentielle dans l’histoire du Sénégal ?
  • Oui, suite à la première présidentielle de 1963 avec un mandat de 4 ans, la suivante, devant se tenir en début décembre 1967, a été reportée au 25 février 1968.
  1. Quelle appréciation faire de cette loi au regard du parcours démocratique ?
  • Une loi consolidante qui procède d’un simple réaménagement du calendrier électoral et non d’un report à proprement parler puisque le décalage ne sort pas de l’année d’expiration du mandat (2024), ne déborde pas sur l’année suivante (2025).
  • Une loi qui permet de sauver le Sénégal des dérives d’un processus électoral qui aurait pu être désastreux pour notre pays.
  • Une loi qui pose les jalons d’un dialogue qui permettra de réunir les conditions d’une élection libre, ouverte et transparente dans un Sénégal réconcilié et apaisé.

Ismaila Madior Fall

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