Entre attentes citoyennes, confusion des rôles et urgences nationales
Depuis quelques temps, la parole publique au Sénégal traverse une zone de turbulence. Entre annonces contradictoires, messages politisés, cacophonie numérique et attentes citoyennes de plus en plus pressantes, le gouvernement peine à imposer une ligne de communication cohérente, lisible et crédible, laissant souvent place à la confusion là où la clarté devrait guider l’action publique. Pour restaurer la confiance et l’efficacité, il ne suffit plus d’aligner des conférences de presse ou des déclarations sur les plateaux télé. Il faut désormais une stratégie cohérente, basée sur des rôles clarifiés, une meilleure coordination institutionnelle et des outils de transparence adaptés à notre contexte linguistique, culturel et social.
La communication gouvernementale est au cœur de la relation entre l’État et les citoyens. Lorsqu’elle est défaillante, la confiance recule, les tensions sociales augmentent et les politiques publiques deviennent illisibles.
Les derniers mois au Sénégal l’ont clairement montré : la communication publique reste souvent réactive, politisée, floue, et éloignée des préoccupations vitales des populations.
D’où une question centrale : Comment bâtir une communication gouvernementale sénégalaise plus efficace, plus cohérente et réellement centrée sur les citoyens ?
Diagnostic : entre confusion, populisme et perte de confiance
Depuis l’installation de la nouvelle équipe gouvernementale, la scène publique a été marquée par des annonces chocs, comme la révélation d’une dette « cachée » ou les suspensions de programmes sociaux, suivies par des explications tardives ou contradictoires. Elle est aussi marquée par des messages non coordonnés entre ministres, rendant difficile pour les citoyens de comprendre les priorités. Il ne faut pas aussi oublier ces tensions avec la presse et les influenceurs qui ont créé un climat d’affrontement plutôt que de pédagogie.
– L’annonce sur la « dette cachée », par exemple, a suscité un immense débat national, mais plusieurs ministres et économistes du gouvernement ont communiqué différemment sur le montant, la nature et l’origine de cette dette. Résultat : confusion et anxiété dans l’opinion.
– Sur le délogement des marchands ambulants à Dakar, trois discours sont apparus : un du maire, un du gouvernement, un d’un ministre sectoriel. Aucun narratif unique n’a expliqué le calendrier, les alternatives ou l’impact social.
-Le voyage en jet privé du Premier ministre aux Émirats Arabes Unis s’inscrit dans un ensemble d’exemples de communication contradictoire. Plusieurs versions ont circulé sur les médias et réseaux sociaux. Aucun porte-parole officiel n’a pris rapidement la parole pour expliquer la nécessité du déplacement, les coûts et les sources de financement. La controverse a éclipsé d’autres annonces importantes. Le jet privé est un symbole qui choque, en contradiction totale avec l’image d’un pays « au bord de la cessation de paiement ».
Si c’est un voyage “économique” comme semblait l’affirmait El Malick Ndiaye, le président de l’Assemblée nationale : « il est parti chercher de l’argent pour le pays », alors comment comprendre qu’une mission destinée à convaincre des investisseurs se déroule dans une discrétion absolue ? Le président de l’Assemblée Nationale n’est pas habilité à communiquer sur les activités du gouvernement.
Le problème de fond : C’est le recours fréquent à une communication émotionnelle et militante – parfois inspirée des logiques de campagne électorale qui crée des attentes irréalistes et complique ensuite la mise en œuvre de politiques publiques plus complexes.
Une communication dispersée et parfois contradictoire
Le contexte actuel multiplie les sources de confusion : des déplacements simultanés du Président et du Premier ministre avec des messages parfois divergents ; des ministres qui communiquent chacun selon leur sensibilité politique plutôt que sur une ligne unifiée ; une omniprésence des militants sur les réseaux sociaux, poussant à des réponses impulsives plutôt qu’à une communication d’État.
– Avec l’épidémie de fièvre de la vallée du Rift, la communication n’a pas été suffisamment efficace pour atteindre toutes les populations à risque, notamment celles qui manipulent directement le sang ou les tissus d’animaux. Entre un ministre qui a minimisé le risque et des services de santé qui annonçaient des mesures d’urgence, la contradiction a affaibli la crédibilité des autorités sanitaires et alimenté les rumeurs en ligne.
Ce manque de cohérence conduit le citoyen à se demander : « Qui parle vraiment au nom de l’État ? »
Le Premier ministre Sonko doit-il diriger la communication gouvernementale ?
Institutionnellement le Président de la République incarne la parole suprême de l’État. Le Premier ministre coordonne l’action gouvernementale et Les ministres communiquent sur leurs secteurs. En pratique, ces frontières sont floues au Sénégal.
Ousmane Sonko, premier ministre et figure charismatique et leader politique majeur, occupe largement l’espace médiatique. Mais sa communication, parfois perçue comme militante, se confond avec celle de l’État. Cela crée un télescopage avec la présidence et un brouillage des responsabilités.
Le Sénégal gagnerait à s’inspirer de ce qui se fait de mieux dans le reste du monde. Par exemple en France ou au Maroc, la communication gouvernementale est pilotée par une cellule centrale, avec un porte-parole unique : cela évite que des personnalités dominent ou concurrencent la communication institutionnelle. – Au Ghana, le ministère de l’Information joue ce rôle centralisé, en synchronisation permanente avec le Cabinet Office.
Les directeurs d’entreprises publiques doivent-ils communiquer sur l’action gouvernementale ?
Les directeurs d’entreprises publiques doivent communiquer sur la gouvernance de leur structure, les innovations, les résultats financiers, le service aux usagers.
Mais il y a dérive quand ils commentent des décisions politiques nationales, ils défendent publiquement la ligne gouvernementale et quand ils entrent dans des logiques partisanes.
Récemment certains directeurs d’agences ou de sociétés nationales se sont prononcés sur la dette publique, sur les relations internationales ou sur les arbitrages budgétaires : autant de sujets qui dépassent leurs prérogatives. D’autres réagissent aux critiques sur les réseaux sociaux avec un ton militant, brouillant l’image de neutralité de leur institution.
Cette confusion entre communication administrative et communication politique nuit à la crédibilité de l’État.
Tensions avec les médias privés : un déficit de dialogue
La suspension ou la mise en demeure de certains médias a renforcé l’idée d’un État en confrontation avec la presse. Pourtant, dans un contexte de crise économique et sociale, l’État a besoin de la presse pour expliquer, éduquer, rassurer. Les décisions de suspension de radios et télévisions privées, même si elles répondent à des infractions techniques ou légales, ont souvent été annoncées sans pédagogie ni explication transparente, laissant place aux interprétations les plus hostiles. Un gouvernement moderne ne bâtit pas sa communication sur la sanction, mais sur l’accès à l’information, la médiation, la transparence des décisions et la régulation indépendante.
Les Sénégalais attendent une communication utile, pas politique
Les priorités des citoyens sont claires : prix des denrées, pouvoir d’achat, emploi des jeunes, sécurité alimentaire, pénurie d’eau, impact du climat sur l’agriculture, cherté du transport, endettement du pays, qualité du système éducatif et sanitaire.
Les baisses du coût du riz, du sucre et de l’huile ne sont pas encore entièrement perceptibles au quotidien au Sénégal. Elles n’ont pas été accompagnées de communication pédagogique car des facteurs tels que les marges des commerçants, l’application des prix et l’impact cumulatif d’autres augmentations rendent leurs effets moins visibles. ; les consommateurs continuent d’exprimer leur mécontentement face au coût élevé de la vie et demandent des baisses de prix plus importantes et une meilleure application des mesures existantes.
La suspension des bourses familiales a été annoncée avant d’expliquer la réforme suscitant de la colère et des inquiétudes. La communication centrée sur les polémiques politiques ou sur l’héritage de Macky Sall ne répond pas aux urgences quotidiennes.
Des réformes urgentes pour une communication publique moderne
Pour une communication publique moderne, il est nécessaire d’opérer urgemment les six reformes suivantes : 1. Créer un Centre national de communication gouvernementale (CNCG). Un organisme qui pourrait être rattaché à la primature ou à la présidence et qui serait chargé de définir la ligne, coordonner les ministères, former les porte-paroles, produire les messages et les supports, et gérer les crises.
2. Former les membres du gouvernement et les dirigeants publics à la communication d’État. Crises, interviews difficiles, annonces économiques, communication interculturelle : tout cela nécessite une formation professionnelle.
3. Unifier la ligne entre la Présidence, la Primature et les ministères en élaborant un calendrier clair des annonces et des priorités et en ayant un seul narratif pour les politiques clés.
4. Professionnaliser la communication numérique. Les objectifs seront de : réduire les « clans » militants, distinguer communication institutionnelle et politique, renforcer la lutte contre la désinformation, diffuser des contenus pédagogiques multilingues (français, wolof, pulaar, sérère, diola…). Prenons les exemples du Rwanda ou du Kenya ou ont été mises en place des cellules digitales efficaces, capables de produire des contenus simples, rapides, en plusieurs langues.
5. Relancer un dialogue régulier et structuré avec la presse par des rencontres trimestrielles, un point de presse hebdomadaire du porte-parole, un accès facilité à l’information publique et une protection de la liberté éditoriale.
6. Recentrer la communication sur les priorités citoyennes. Cela signifie : moins de politique, plus d’explication de politiques publiques. Moins d’effet d’annonce, plus de pédagogie.
Conclusion : communiquer pour rassembler, pas pour diviser
La communication gouvernementale n’est pas un outil partisan : c’est un pilier du contrat social. Pour restaurer la confiance, il faut moins parler, mais mieux expliquer, annoncer moins, mais prouver plus, réduire les discours militants et renforcer la parole institutionnelle et faire de la transparence un réflexe, non une exception.
Dans un contexte où les crises économiques, sanitaires, sociales et environnementales se multiplient, une communication improvisée ou politisée devient un risque national.
Une communication cohérente, stable, humble et centrée sur les citoyens est indispensable.
C’est ainsi que l’État pourra restaurer la confiance, éviter les malentendus et construire un dialogue adulte avec une population sénégalaise devenue plus exigeante, plus informée, et plus attentive que jamais.
Dr Albert MENDY
Journaliste et professeur de communication
