On est face à une jeunesse désenchantée. On déchante, comme on dit, et on ne peut déchanter qu’après avoir chanté. Paradoxalement notre jeune relève est revenue de tout sans avoir été nulle part… Des décennies qu’on s’interrogeait sur les modalités d’insertion professionnelle d’une jeunesse qui grinçait fortement des dents sur sa non reconnaissance dans l’espace public, dans le champ politique et économique, et qui dénonçait déjà les réalités et la violence de sa relégation.
Déshéritée par des gouvernants cupides, dépourvus de vision et par excellence briseurs de rêves et d’espoir juvéniles.
Éliminons l’hypothèse naïve que seuls les bancs de l’école construisent une jeunesse.
Il y a, pour le meilleur et pour le pire, d’autres canaux et lieux qui participent à cette construction ou castration d’un désir d’accomplissement. Il y a la rue qui constitue l’étape temporaire à l’issue incertaine d’un processus social d’apprentissage qui déconstruit les rapports entre espace privé et espace public. Il y a les médias : aux mains tantôt des garants de la démocratisation de bêtise sur fond de « temps de cerveau disponible », tantôt à celles de la fabrique d’une politique-spectacle, pâle mise en scène d’égos aussi boursouflés qu’impuissants à proposer le réenchantement d’un avenir pour les plus jeunes, enkysté dans le calendrier électoral.
Il y a la magie des réseaux sociaux qui entretiennent la douce illusion d’une communauté de connivences générationnelles malheureusement pénétrées par les vautours conspirationnistes fournissant gracieusement la juste dose de paranoïa.
Et il y a désormais la peur, le carburant le plus néfaste de l’inscription au monde.
Le pire, c’est qu’il n’y a pas de révolte dans cette désillusion, même s’indigner est au-dessus des forces de cette jeunesse oubliée. Quand on ne trouve plus un sens à sa vie, chez soi, l’ailleurs quoi qu’ incertain devient un horizon de survie. Il résulte de cette tragédie une tristesse infinie, et bien souvent une amertume. On est morose dans la façon dont on accepte une situation qu’on sent sans issue. Si on devait évaluer l’indice du bonheur national sous nos cieux, il friserait le ras de pâquerettes…
Construction et mise en débat de la politique de jeunesse
Le besoin principal des 16-25 ans des quartiers populaires, tout comme de l’ensemble de la jeunesse, reste celui de l’utilité sociale (se sentir appartenir à une société à laquelle on contribue et dont on reçoit en retour). Cela passe nécessairement par l’insertion sociale – se sentir appartenir à un tout à l’édification duquel on contribue – et par la reconnaissance sociale – être reconnu par ce tout.
Ces bornes que l’on fixe se raccrochent généralement à des éléments de politiques publiques et plusieurs dimensions sont à prendre en compte : les politiques éducatives bien sûr, mais aussi les politiques de l’emploi des jeunes, du logement, etc. Beaucoup de choses se jouent durant cette période, notamment la reproduction des inégalités, qui vont déterminer les parcours des individus.
Les jeunes aspirent à prendre pleinement leur place dans la cité. En référence aux réalités sociologiques que tous ont abordé face à la déshérence qui interpelle toute la collectivité, que peut-on dire des politiques de jeunesse mises en œuvre par l’État du Sénégal ?
L’offre institutionnelle rencontre-t-elle les préoccupations et les aspirations des jeunes ? Répond-elle aux enjeux soulevés par les parcours de vie des jeunes des quartiers urbains et des zones rurales ?
Existe-t-il dans les villes un référentiel politique guidant l’élaboration de l’action envers la jeunesse, lisible et reconnu de tous ? Autrement dit, qu’affiche une ville, une région où une collectivité locale, comme ambition pour sa jeunesse en général, et pour celle de ses quartiers populaires en particulier ?
Comment s’organise l’offre en direction des jeunes des quartiers et comment est-elle perçue par les professionnels d’une part et les jeunes d’autre part ?
Quels peuvent être les freins à une politique de jeunesse ?
Ce qui pose la question du pilotage et de la coordination, de même que de la construction et de la mise en débat de cette politique avec ses différents enjeux. Pour l’heure, malgré des tentatives d’explicitation pour quelques-unes d’entre elles, aussi bien État central qu’ administrations locales peinent à rendre lisible une action partagée par tous à l’échelle de l’ensemble du territoire.
Nous pouvons affirmer, à la suite de nos enquêtes dans les quartiers des villes que ce besoin est à mettre au centre des préoccupations d’une politique de jeunesse.
Légitimer la puissance d’agir
Il faut repenser dans ses moindres contours la politique de la jeunesse.
À partir de là, se pose la question des moyens et des processus pour y parvenir. Car la pédagogie est intrinsèquement politique en ceci qu’elle rend légitime l’expérimentation in situ de compensation des divers handicaps et contraintes conjoncturelles et qu’elle met en pratique la nécessité de conjurer le sort de la panne de l’ascenseur social et du désespoir au niveau de la jeunesse, frange de la population largement majoritaire dans notre pays.
On l’aura compris, la gageure est de taille. Une politique de jeunesse passe d’abord et avant tout par l’épreuve au quotidien des pratiques anti-autoritaires et de justice dans les classes. Elle ne peut se contenter de la foi dans les vertus performatives d’un récit national républicain qui fabrique de l’illégitimité pour la grande partie de sa relève. Elle se doit au contraire de rendre visibles les actes de nos gouvernants, de tous les lieux et de tous les temps, pour légitimer l’existence d’une puissance d’agir.
Plus que de « vivre ensemble », il s’agit d’apprendre à « agir ensemble », au-delà des classes sociales et du poids du compte en banque ; agir pour et agir contre ; agir avec la conviction d’être de ce présent là, et non seulement d’être en permanence re-présentés.
Nous le devons à nos jeunes sans repères et à nos générations futures.
Khady GADIAGA – 2 novembre 2023
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