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Tirailleurs : Martin Mourre suscite le débat (Ousmane Mangane)

Thiaroye 44 restera à jamais gravé dans nos mémoires. La vérité comme disent les arabes est comme le matin. Elle s’éclaire avec le temps. Cette matinée de 01 décembre 1944 se prolonge jusqu’à nos jours. Et chaque matin des zones d’ombres s’effacent et cèdent leurs places à des vérités scientifiques.

Des historiens ont investi le terrain avec certainement différents objectifs. La recherche de la vérité historique est certainement l’une des raisons pour plusieurs d’entre eux. Le jeune historien français Martin Mourre s’est distingué dans cette tache au combien difficile tant dans sa conception que dans sa réalisation. Cet ouvrage intitulé « Thiaroye 44, Histoire et mémoire d’un massacre colonial » est une œuvre monumentale. C’est une mémoire vivante de Thiaroye 44.

L’historien Mourre a levé l’équivoque dés le début en parlant de « massacre colonial » au lieu de « mutinerie ». « Ce livre prend pour objet les représentations d’un massacre colonial, la répression sanglante de tirailleurs sénégalais, ces soldats ouest-africains de l’Empire français, survenue au camp de Thiaroye, à proximité de Dakar, le 1er décembre 1944.Plus de soixante-dix ans après les faits, cet évènement reste un sujet de controverse historiographique ». Ce docteur en histoire de l’Ecole des hautes études en sociales et en anthropologie de l’Université de Montréal nous fascine dans sa démarche scientifique loin des doses subjectives dans le but d’être plus proche des vérités pour ne pas dire de la vérité absolue.

Martin Mourre a bâti son travail dans une documentation très riche et variée. La diversité des sources a permis à cet historien d’être à l’aise dans son interprétation. Martin a exploité cette pléthore de documents en confrontant les uns aux autres afin d’en tirer une substance lucide qui fait l’essence même de son travail d’historien. La véracité des faits est lisible en se basant sur le travail phénoménal de Martin Mourre. Rien que les incohérences dans les rapports de la hiérarchie avant, pendant et après l’événement nous donne idée claire de ce que Martin même appelle « Massacre ». Cette communication interne au sein même de la hiérarchie de l’armée coloniale pose problème.

Le dysfonctionnement noté dans les rapports en est une illustration parfaite. L’historien Martin Mourre a interprété avec finesse les différents rapports. Et chaque mot a son importance. Le nombre même de tirailleurs rapatriés pose problème car les archives consultées par Mourre ne sont unanimes sur ce point. « Le chiffre de 1280 tirailleurs débarqués à Dakar le 21 novembre est celui qui revient le plus souvent. » note l’auteur de l’ouvrage « Thiaroye 44,histoire et mémoire d’un massacre colonial ». Selon toujours Martin l’imprécision du nombre de tirailleurs débarqués à Dakar le 21 novembre ,la récurrence du terme « environ » dans divers rapports ,renvoie au nombre de soldats effectivement présents à Thiaroye le matin du 1erdécembre -on sait par exemple que certains tirailleurs originaires du Sénégal se trouvaient la vieille dans leurs familles à Dakar. On doit relier cette aporie de l’archive au nombre de tués. » Ce qui fait dire à l’historien que « le nombre de trente-cinq morts avancés dans les rapports reste donc sujet à caution ».

Le nombre de morts à Thiaroye le 1erdécembre 1944 ne sera jamais connu. L’auteur dans cet ouvrage en déduit en ces termes « on peut suggérer l’hypothèse -et la question du nombre de tirailleurs est ici primordiale -que la fraude, l’écriture de faux, a été réalisé à une grande échelle. » C’est pour dire tout simplement que le nombre officiel dépasse largement ce qui a été déclaré. Ainsi l’artillerie déployée sur le site le jour du drame ne peut pas avoir comme conséquence le nombre de victimes déclarées officiellement par l’armée coloniale. « Il serait inutile pour l’armée coloniale de déployer toute cette énergie pour tirer seulement sur le nombre déclaré ». Martin Mourre a mis en exergue les primes non versées par l’armée coloniale aux tirailleurs. Ces derniers avant d’être tués avaient été prisonniers des allemands pendant quatre ans durant la guerre.

Certains tirailleurs ont été jugés et emprisonnés. Le déroulement du procès nous montre nettement la volonté de l’administration coloniale de se séparer des tirailleurs. Si les tirailleurs ont subi le mauvais sort. Ceux qui avaient en quelque sorte orchestrer ce massacre ont été promus. Ce qui est incompréhensible si nous pensons à l’effort de guerre des tirailleurs – qui ont prisonniers des allemands. Mais c’est une évidence si nous suivons la logique de l’administration coloniale. Martin Mourre semble être exhaustif dans ses recherches et documentations.

Thiaroye 44 est devenu au fil des temps un combat politique en faisant tache d’huile en Afrique de l’Ouest. Oubliés en un moment de l’histoire, « le président Abdoulaye Wade ressuscite les martyrs oubliés » note le journal le Soleil. Le président de la république du Sénégal avait déclaré le 23 aout 2004, journée des tirailleurs. L’ouvrage de Martin suscite le débat en ressuscitant les tirailleurs. Il a mis en exergue Thiaroye, lieu du massacre dans la première de couverture du livre avec d’abord le titre et la photo de couverture. Thiaroye est visible et lisible deux fois sur cette belle vitrine. Thiaroye 44 restera à jamais graver dans la mémoire collective africaine pour ne pas dire dans toutes les mémoires souffrantes du monde.

Ousmane Mangane est journaliste à Radio Chine Internationale, Animateur des émissions Historama et Printemps des écrivains.

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