Tentative de coup d’État au Bénin : les enjeux géopolitiques que beaucoup n’ont pas vus (Par Magaye Gaye)

Le coup d’État avorté au Bénin ce week-end n’est pas seulement un fait divers politique. C’est un événement majeur qui a retenu l’attention de toute l’Afrique et de ses partenaires internationaux. Au-delà du fait que la tentative ait été neutralisée — grâce, semble-t-il, au réflexe républicain de l’armée et au manque de préparation des putschistes — cet épisode soulève des interrogations géopolitiques profondes qu’il serait dangereux d’ignorer. Car ce n’est pas seulement au Bénin que tout se joue. Ce sont les équilibres de puissance en Afrique de l’Ouest qui sont désormais sous tension.

1. L’INTERVENTION EXTÉRIEURE : UN SIGNAL QUI INTERROGE

La réaction quasi immédiate du Ghana, de la Côte d’Ivoire et du Nigéria pose une question fondamentale : qui protège quoi et pour qui ? Sous couvert de “défense de l’ordre constitutionnel”, ces interventions semblent montrer l’existence de réseaux d’intérêts extérieurs prêts à intervenir pour préserver une architecture politique précise dans la sous-région.

Les informations révélées par la presse internationale confirment que le Nigéria a lancé une intervention militaire directe sur le sol béninois. Des avions de combat nigérians ont pénétré dans l’espace aérien du Bénin pour « déloger les putschistes de la télévision nationale et d’un camp militaire où ils s’étaient regroupés ». Des troupes au sol ont également été déployées pour appuyer l’opération. Ce niveau d’intervention dans un État souverain, avant même une concertation institutionnelle classique, témoigne de l’existence d’un verrou stratégique que certains acteurs cherchent manifestement à protéger.

Pourquoi une telle rapidité et une telle intensité dans la réaction ?

Parce que les trois États côtiers encore alignés sur le modèle institutionnel classique — Bénin, Côte d’Ivoire, Togo — constituent le corridor maritime indispensable pour maintenir le contrôle économique et logistique de toute la région.

Si l’un d’eux basculait dans une dynamique souverainiste ou militaire, cela ouvrirait une porte stratégique directe pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays enclavés qui gagneraient soudain un accès maritime cohérent avec leur nouvelle orientation politique.

C’est pourquoi les pays côtiers classiques utilisent parfois leur position géographique comme levier politique, pour tenter de contraindre les pays de l’AES à revenir vers la CEDEAO ou à rester dans les schémas traditionnels.

La précipitation observée ce week-end traduit donc une crainte profonde :

perdre le contrôle du dernier verrou maritime de l’UEMOA.

2. UNE UEMOA FRACTURÉE : 5 PAYS SUR 8 EN RUPTURE

Sur les huit États membres de l’UEMOA, cinq sont aujourd’hui engagés dans une dynamique de rupture ou de souveraineté renforcée : Sénégal, Mali, Niger, Burkina Faso, Guinée-Bissau (plus la Guinée hors UEMOA, mais dans la même logique). Cela signifie que la majorité de l’espace échappe déjà à l’influence classique qui a structuré la région depuis des décennies. Ne restent alignés que trois États : Bénin, Côte d’Ivoire, Togo.

3. LE BÉNIN : UN PIVOT GÉOSTRATÉGIQUE QU’ON CHERCHE À VERROUILLER

Le Bénin est l’un des trois derniers États côtiers permettant de maintenir la continuité logistique, économique et sécuritaire du modèle institutionnel classique. Sa stabilité devient donc une pièce centrale du statu quo régional.

4. UN RÉALIGNEMENT MONDIAL EN FAVEUR DES ESPACES ANGLOPHONES ?

Le rôle du Ghana et du Nigéria n’est pas neutre. Plusieurs puissances semblent repositionner leurs leviers d’influence vers les pays anglophones, au moment où l’espace francophone entre dans une recomposition profonde.

5. LE RISQUE : SACRIFIER LA DÉMOCRATIE POUR PRÉSERVER UN ORDRE GÉOPOLITIQUE

Quand la stabilité d’un pays devient un enjeu stratégique régional, le risque est grand que la volonté populaire passe au second plan. Ce week-end au Bénin nous oblige à poser la vraie question : veut-on stabiliser un pays ou préserver un système ?

CONCLUSION : REGARDER AU-DELÀ DE L’ÉVÉNEMENT

La tentative de putsch n’est que la partie émergée d’un mouvement plus vaste : recomposition des influences, montée des souverainismes, repositionnement des puissances, nouveaux corridors stratégiques. Comprendre l’Afrique de l’Ouest d’aujourd’hui impose d’intégrer ces variables majeures.

Magaye Gaye

Économiste international

Ancien cadre de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)

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