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Réforme de la Justice : Pourquoi le PR doit rester dans le Conseil supérieur de la magistrature

Le président du Forum du Justiciable qui est pour une réforme qui réduit au maximum la forte emprise du ministère de la justice sur les parquets plaide contre un judiciaire qui prend des décisions qui relèveraient normalement du politique.

En tant que président du Forum du justiciable vous avez formulé des propositions sur la réforme et la modernisation de la justice…Pouvez-vous revenir sur les propositions ?

Je voudrais commencer par saluer la tenue des assises de la justice qui est une excellente initiative qui vient à son heure. De Addis Abeba où nous étions ces derniers jours, nous avons suivi de très près le déroulement des travaux par le biais de notre représentant. Et heureux de constater également que les propositions que nous avions faites et transmises aux autorités font partie des documents de travail des assises. Alors pour répondre à votre question nous avons fait une série de propositions sur les magistrats du siège, du parquet, sur le conseil supérieur de la magistrature et sur les longues détentions.

Qu’est-ce que vous avez proposé pour le siège ?

Sur les magistrats du siège : je dois commencer par rappeler que les magistrats du siège occupent une place importante dans le dispositif pénal mais cela ne veut pas dire que les magistrats du parquet n’occupent pas une place importante. D’ailleurs quand on parle d’indépendance de la justice, cette indépendance il faut la mesurer par rapport au magistrat du siège. Alors pour garantir cette indépendance des magistrats du siège, il est prévu que les magistrats du siège ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable. C’est ce qu’on appelle le principe de l’inamovibilité. Mais il se trouve que dans la pratique ce principe de l’inamovibilité subit le plus de pression et est sujet aux violations les plus fréquentes et les plus flagrantes. C’est ainsi que divers stratagèmes sont utilisés par l’exécutif pour noyer ce principe. Ce qui a fini de le transformer en fiction… En effet, pour contourner la règle de l’inamovibilité, l’autorité politique utilise deux procédés à savoir l’intérim et la nécessité de service.

Que faut-il face à de tels procédés ?

C’est pourquoi nous avons demandé : Prévoir des mesures d’encadrement du principe d’inamovibilité par la définition de ́ la notion d’intérim et par l’énumération des éléments pouvant justifier le recours à la notion de nécessité de service ; Nommer les juges d’instruction par décret et non par arrêté du ministre de la Justice (Ils sont nommés par arrêté du Garde des sceaux et peuvent être déplacés par la même voie).

Qu’est-ce que vous pensez être la bonne solution pour le parquet ?

Sur le parquet : Nous estimons que pour arriver à une réelle autonomie des magistrats du parquet, il faudra aller vers une nécessaire réforme pour réduire au maximum la forte emprise du ministère de la justice sur les parquets. Nous pensons qu’il faut introduire dans notre droit positif l’interdiction faite à ce dernier d’intervenir dans les conflits individuels comme ça se passe actuellement en France. Pour rendre effectifs les pouvoirs propres du parquet et en consolidant sa liberté, nous avons proposé : Subordonner l’affectation des magistrats du parquet à l’avis conforme du Conseil supérieur de la Magistrature, à défaut, de le faire nommer par le Conseil lui- même ; Supprimer le pouvoir d’injonction reconnu au Garde des Sceaux qui devrait se limiter à élaborer des circulaires générales pour la définition de la politique pénale ; Établir une loi qui prévoit que le ministre de la Justice, qui conduit la politique pénale déterminée par le gouvernement, adresse uniquement aux magistrats du parquet des instructions générales (Il ne pourra leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles) ; Proscrire expressément et textuellement les ordres de non-poursuites.

Qu’est ce qui a été proposé sur le Conseil supérieur de la magistrature ?

Sur le conseil supérieur de la magistrature j’ai commencé par attirer l’attention du Président de la République sur le risque d’un basculement vers un gouvernement des juges. L’absence de l’exécutif au sein du conseil supérieur de la magistrature peut favoriser le basculement vers un gouvernement des juges. Il faut maintenir l’exécutif au sein du conseil tout en rendant sa présence symbolique par les procédés suivants : Attribuer le pouvoir de proposition dans le cadre des nominations des magistrats aux membres du Conseil supérieur de la Magistrature et non au ministre de la Justice ; Instaurer un système de transparence avec publication des postes vacants et nomination sur la base de critères objectifs ; Supprimer la consultation à domicile prévue par l’article 6 alinéa 2 de la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ; Réduire à deux (2) les membres de droits : le Premier Président de la Cour Suprême et le Procureur général, près de ladite Cour ; Ouvrir le Conseil supérieur de la Magistrature à des personnalités extérieures reconnues pour leur expertise et leur neutralité́ (avocats, universitaires, société́ civile…).

Qu’en est-il des longues détentions préventives ?

Aujourd’hui la question des longues détentions préventives constitue le principal problème de notre système judiciaire. Et l’équité de traitement entre tous les citoyens est le vœu le plus cher de chaque justiciable, c’est également celui de Monsieur le Président de la République. Une telle équité permet de créer un climat de confiance à l’endroit du système judiciaire qui devient ainsi un régulateur de la paix, garant de l’équilibre social notamment entre le gouvernement et les populations. Pour y arriver il nous faut une justice de qualité, rendue dans des délais raisonnables. C’est pourquoi nous avons proposé : Instaurer un juge de la détention et des libertés spécialement chargé de statuer sur la mise en détention provisoire et sur les demandes de mise en liberté́ afin de rationaliser les mandats de dépôt ; Procéder au recrutement conséquent de magistrats et à la dotation des cabinets d’instructions de moyens financiers et matériels ; Supprimer le retour de parquet devenu une pratique judiciaire très courante ; Encadrer la détention provisoire en matière criminelle pour en limiter la durée à deux (2) ans ; Privilégier le contrôle judiciaire pour les personnes qui présentent des garanties de représentation en justice.

Vous insistez dans vos propositions sur les risques d’un gouvernement des juges… Pourquoi?

Je commence d’abord par rappeler que les dispositions de l’article 42 de la constitution font du Président de la République, la clé de voûte des institutions parce qu’il en assure, par son arbitrage, leur fonctionnement régulier. Alors comment peut-il assumer cette fonction sans siéger au CSM ? Vous savez nous avons eu la chance de faire un peu de droit comparé et nous avons constaté que les pays Africains qui avaient fait le choix d’écarter le Président de la République et le Ministre de la Justice de la composition de leur conseil supérieur de la magistrature, l’ont regretté par la suite. Ils se sont rendus compte très vite de l’immense pouvoir que disposent les juges. L’absence de l’exécutif du CSM peut nous conduire dans une société où le pouvoir suprême appartient au pouvoir judiciaire. L’absence de l’exécutif du CSM laissera au judiciaire des décisions qui devraient normalement relever du politique. Alors c’est pourquoi nous avons très tôt attiré l’attention du Président de la République sur ce risque qui menacerait nôtre état de droit.

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