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Quand la terre de la Téranga se consume… Par Adama Gaye

L’image d’un Sénégal à feu et à sang, où des foules surtout jeunes et déchaînées brûlent et détruisent tout sur leur passage, ne venait pas instinctivement à l’esprit de quiconque pensait à ce pays d’Afrique de l’Ouest, jusqu’à une date récente.
C’était avant. Quand son nom rimait avec une hospitalité légendaire, une démocratie dynamique et la beauté de ses paysages autant que l’attractivité qu’il dégageait au point de faire affluer vers son sol investisseurs, touristes et curieux géopoliticiens pressés de savoir si son modèle n’était pas le résumé de la renaissance africaine qui fait saliver à travers le monde. Dans un continent turbulent, pris par des conflits infinis et sous la férule d’autocrates en tous genres, il se distinguait par la paix et la stabilité, sa democratie presque exemplaire, autant de marqueurs distinctifs qui l’honoraient..
Cette image d’Epinal n’est plus. Elle n’est pas que balafrée, écornée. Depuis quelques mois, voire années, en particulier ces jours-ci, la seule évocation de son identité renvoie au pire des clichés concernant le continent africain, rien ne le distingue plus des idées repoussantes que suscitent la plupart des pays africains.
Plus personne n’ose plus penser qu’il est toujours l’exception à la règle qu’il fut longtemps.
C’etait lorsque le monde entier, son peuple en tête, et d’abord les tenants d’un afro-optimisme invétéré, le désignaient comme la preuve que tout n’était pas que malediction dans cette région du monde que ses délateurs avaient fini par ne plus nommer que par sa…noirceur.
Guerres civiles, coups d’Etat, pratiques corruptrices, actes de mal-gouvernance et aliénation de souverainetés persistant çà et là sur tout ce continent lui avaient valu une damnation quasi-universelle. Au point que le grand magazine des milieux libéraux anglosaxon, The Economist, avait crû pouvoir le considérer comme “sans espoir”, en l’an 2000, avant de se forcer, à la vue de ses agrégats améliorés de ses Etats, d’y voir, en 2011, celui “en décollage”.

Le Sénégal, lui, n’avait jamais, ou presque, failli à sa réputation de bon élève trônant au firmament, loin des malheurs africains.

On chantait ses percées sur divers tableaux, de son sport tonique à sa musique universellement appréciée ou encore à ses exploits économiques qui lui promettaient l’émergence, en tête de ce qu’on s’imaginait être une tropicalisation de la théorie des oies volantes, née de l’analyse des miracles asiatiques successifs.
Cerise sur le gâteau, en plus de deux alternances démocratiques pacifiques, les récentes découvertes de toutes sortes de ressources naturelles dont des minéraux critiques mais aussi du pétrole et du gaz, étaient venues lui donner un statut de terre bénie du ciel.
Le sentiment était naturellement répandu que tout allait pour le mieux à son sujet.
Combien de Sénégalais, d’habitude gouailleurs, se sont retrouvés face à des interlocuteurs interloqués de les entendre les mettre en garde sur leur lecture enjolivée des réalités de leur pays?
Au plus, ils se faisaient renvoyer à leurs chères études, avec des formules lapidaires, du genre: “voyez ailleurs en Afrique!”. Ou, lorsqu’il s’agissait d’autres Africains, la sentence était encore plus tranchante: “vous n’avez pas à vous plaindre!”
Ce n’était pas en vérité des prises de position toujours spontanées. Elles étaient aidées par de subtiles campagnes de relations publiques déployées, au prix fort, par l’Etat corrupteur qu’est devenu le Sénégal auprès de plateformes médiatiques, nationales et internationales, classiques ou digitales, réunies dans un narratif outrancièrement élogieux sur la situation qui était la sienne. Jusque dans les instances internationales, de l’Organisation des nations-unies (Onu) à l’Union Européenne (UE) et même dans les travées des institutions financières internationales, telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (Fmi), promptes à offrir, sans compter, leurs subsides au “modèle” africain, le discours était le même: “tout baigne au Sénégal”.
Ce vernis complaisamment apposé sur ses réalités faisait le bonheur du pouvoir Sénégalais qui s’en était trouvé comme béatifié, intouchable. Qui pouvait briser ce consensus et convaincre de ce que le pays vivait plutot un…enfer sans nom, sous le joug d’une dictature sanguinaire et prédatrice derrière l’onctuosité qui le baignait sous les regards complices et cajoleurs des flagorneurs devenus ses propaganidstes partout et sans recul.
Qui pouvait changer cette perception en prouvant qu’elle n’était hélas qu’un leurre? C’est ce que les récentes flambées de violences, par un remarquable retournement de situation, viennent de réussir.
Par des bris de verre et les fracas des armes, les déboulées des jeunes et le déchaînement de généralisé de violences qui montent des rues du pays sous les caméras et réseaux sociaux de la planète, c’est, peut-on penser, la virginité et la douceur dont il était enrobé qui partent en fumée. Comme il en est aussi des supermarchés (surtout de France), sur l’ensemble de son territoire, des bâtiments publics, des bus, des infrastructures, à l’instar du train Express régional, ou des autoroutes, bref de toutes ces infrastructures stratégiques dont se gaussait, bavard, le pouvoir en place, si ce ne sont les domiciles des élites qui sont à ses commandes, cibles également des citoyens-pyromanes.
Tout observateur sérieux et attentif savait néanmoins que ce n’était là qu’une tragédie attendant de se produire.
L’illusion d’un pays de cocagne qu’il portait était en effet surfaite. Le feu couvait sous la cendre. E,t il a suffit d’un dernier coup de Jarnac pour que les pires craintes se concrétisent.
L’inferno est parti d’une décision judiciaire bancale. Sa justice en déliquescence n’avait pas su lire sur les murs la colère qui grondait. Couchée, comme ses critiques la décrivent, elle s’est montrée insensible a lattente impatiente d’un traitement équitable que les citoyens nourrissent de sa part. Elle n’est pas la seule en faillite. Les autres institutions le sont aussi,, d’un Exécutif gangréné par la corruption et l’incompétence à un parlement-croupion, sans oublier surtout ses forces de défense et de sécurité, associées à des milices privées, formées de nervis, selon le jargon local, qui se donnent à cœur-joie dans une campagne de terreur destinée à faire taire les voix dissidentes contre le régime d’un Macky Sall, arrivé, par effraction, à la tête du pays depuis mars 2012,, par la voie des urnes mais résolu à y rester par les méthodes non-conventionnelles, en commençant par l’effacement des normes…démocratiques. Une presse nationale et l’administration obeissant au doigt et a l’oeil du pouvoir ont fait le reste tandis que les traditionnels régulateurs sociaux que sont les chefs religieux, si influents ici dans le passé, et les griots, ces communicateurs traditionnels, se faisaient chloroformer par l’argent de la corruption publique jusqu’a s’endormir au volant.
L’étincelle qui a mis le feu aux poudres est venue d’un procès entre une figure politique populaire de l’opposition, accusée de viols et menaces de mort, et une jeune fille que beaucoup pensent avoir été instrumentalisée, dans la bonne tradition des Kompromat Est-Européens de triste mémoire.
Le verdict donnée, le 1er Juin par la magistrature Sénégalaise sur un autre fait, introduit dans le dossier, à savoir la corruption d’une jeune personne, qui condamne à deux ans de prison ferme l’opposant, c’est-à-dire lui dénie le droit de participer à la prochaine échéance électorale de l’an 2024, était la goutte d’eau de trop. Ou la brindille….
Le monde entier voit désormais, les larmes aux yeux, une image différente de celle du Sénégal de toujours. Ce n’est là cependant qu’un réveil douloureux à la rêche réalité du pays.
Depuis plus de vingt-ans, force est de l’admettre, le Sénégal n’a cessé de régresser sur tous les critères de gouvernance.
Il s’est transformé, au fil des ans, en une république bananiere de la pire espece. Pour s’en convaincre, il suffit de relever les arrestations injustifiées de personnes démocratiquement opposées au régime, d’abord de l’ancien Président Abdoulaye Wade, mais surtout, beaucoup plus, de son successeur, qui y sont devenues légion. Aujourd’hui, elles sont des centaines dans les geôles sur-peuplées du pouvoir en place. Journalistes, militants politiques de l’opposition, citoyens engagés y côtoient les pires criminels, sans parfois qu’aucun motif d’incarcértion ne leur soient notifié.
Les ressources financières et naturelles du pays sont bradées au profit des tenants du pays, avec en première ligne la famille biologique et politique du Président. C’est ainsi que les hydrocarbures découverts depuis 2014 ont déjà été vendangés entre eux et leurs cronies, parfois des aventuriers principalement choisis parce qu’ils se posent en prête-noms.
Les dépenses budgétaires sont politisées comme l’attestent celles frauduleuses sur le millier de milliard de francs Cfa dégagés au nom d’une loi d’habilitation adoptée en pleine crise de la pandémie du Covid, il y a trois ans, et littéralement syphonnés entre les “happy few”, notamment la famille du Président et ses excroissances politiciennes.
Au meme moment, le climat d’inégalité qui jette en prison les critiques du pouvoir épargne ses alliés, peu importe la gravité des faits qui leur sont reprochés, parfois en position de flagrant délit.
La boucle est bouclée avec la déferlante impitoyable des campagnes sécuritaires pour faire taire, disparaître, torturer et même tuer les adversaires estampillés du pouvoir de Macky Sall
Dans ce contexte, énoncer la moindre observation critique sur son refus d’entendre raison sur le projet qui lui est prêté de s’accrocher à son poste pour se faire capturer par ses milices, équivaut a s’infliger une lettre de cachet si ce n’est tomber sous les balles de ses assassins laches dans la nature, lourdement armés.
L’idée de Sall de briguer un autre mandat présidentiel, au mépris de ses engagements antérieurs moult fois réaffirmés de ne pas le faire, est devenue la ligne rouge que tout étourdi remettrait en question a ses depens. Surtout qu’il se sent traqué, sur fond d’une peur-panique, avec ses acolytes, de devoir rendre compte de leur gestion scabreuse, semée de scandales financiers, fonciers, fiscaux et humains,
Les Sénégalais mesurent la gravité du piege dans lequel ils se retrouvent de leur propre faute quand ils admettent qu’ils ne savent pas élire mais ne font que sanctionner un dirigeant sortant sans évaluer le pédigree de celui qu’ils portent a la tete du pays. En l’an 2000, c’est un acces de colere qui les firent ranger aux oubliettes les réticences qu’ils avaient contre le vieil opposant Abdoulaye Wade, qu’ils choisirent en lieu et place du président d’alors, le tres bureaucratique Abdou Diouf. Douze ans apres, fermant les yeux sur les suspicions nombreuses, notamment une pléthore de crimes financiers qui lui étaient imputables, ils voterent un Macky Sall dans un moment d’euphorie et d’abandon.
Depuis lors, le pays fait semblant d’etre sur une rampe d’emergence alors qu’il baigne dans une culture de terreur, de tueries et de bradages jamais imaginee ici. Indolents, les Sénégalais s’en remettent au ciel face aux défis qui obstruent leurs vues mais, dos au mur, affamés, désargentés, inquiets, dos au mur, il ne leur reste plus qu’a deployer leur ultime énergie -du désespoir.
Le monde qui n’avait pas voulu savoir la vraie vérité la découvre en feu et flammes, ravageant tout sur son passage, sur cette terre de la teranga (l’hospitalité en Wolof) qui se consume.

Adama Gaye, éxilé politique, ancien détenu pour ses écrits contre le pouvoir de Macky sall, est auteur d’Otage d’un Etat (Editions l’Harmattan, Paris).

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