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Pour une République des républicains (Par Pape Mody Niang)

Dans une précédente contribution j’avais indiqué, sans m’ériger en devin, ceci : « Depuis hier (le 3 février), du nouveau, de l’inconnu se prépare à prendre place dans notre pays ». L’imbroglio, qui se dessine, semble me donner raison. Personne ne nie que le Président de la République, quand il s’agit de l’action gouvernementale, incarne la ligne, fixe les orientations. En démocratie, dès lors que tout a été fait par tous, tout doit être fait pour tous. Manifestement, avec tout le respect que l’on lui doit, la volonté du chef de l’Etat de vouloir sauver son camp nous a installés dans cette quadrature du cercle, que j’appelle – tant les nœuds sont difficiles à démêler- le cercle carré. Le vrai problème de notre pays est que tous les beaux parleurs sont pris pour des experts. Résultat : on s’expose à des mécomptes. Beaucoup de nos compatriotes – soucieux uniquement de leurs intérêts – ont théorisé la nécessité du report, certains avec un brin d’arrogance et de suffisance, sans en mesurer les conséquences, après que le droit fut dit par le Conseil constitutionnel.
En voulant tout régenter, voilà le Président pris dans une alternative draconienne : appliquer le droit ou continuer cette errance stratégique qui mène, immanquablement, vers l’inconnu. A coup sûr, le dentifrice est sorti du tube, et il sera difficile de le faire revenir. Evidemment, au vu de ce qui se passe, s’impose à nous tous cette leçon de vie : rien ne se réalise exactement comme nous l’avions prévu. Si cela arrive, quand on est responsable, on doit s’adapter. Aujourd’ hui, l’adaptation à cette nouvelle situation se révèle obligatoire, même s’il est difficile de renoncer à ses illusions, à ses marottes, à ses habitudes. Douze ans de présence à la tête de cette merveilleuse République sénégalaise, avec tous les leviers à disposition, cela installe dans beaucoup de conforts de posture et peut même ouvrir la voie à l’ hubris.

Le pays a besoin, présentement, d’une mobilisation autour d’une cause, la République, sans laquelle aucune politique ne peut avoir de pertinence opérationnelle. Le Président a accroché sa propre corde à l’arbre, en voulant arrêter un processus prêt à démarrer. Tentons, en bons républicains, de l’en détacher. Certes prendre son temps , en politique , n’ est point une faiblesse ; ce peut être même une force , si l’ on veut résoudre un problème avec une délicate noblesse et que l’ on veuille s’ imposer comme le véritable « gardien de la Constitution » , dévoué à la nécessité de dire avec force : les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours . Elles s’imposent aux pouvoirs politiques et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Le dialogue, que compte lancer le Président le lundi 26 février, semble mort-né : les véritables concernés (les candidats retenus par le Conseil constitutionnel et une frange importante de la Société civile se désistent). Donc, sauf revirement, point de possibilité de cohabitation harmonieuse de sentiments et de ressentis authentiques et positifs vibrant à l’unisson ! Face à une telle éventualité rappelez-vous, Monsieur le Président, la belle phrase de JAURES : « La République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace ».

Vous devez oser oser, Monsieur le Président !
D’ abord, en évacuant ce fond d’hostilité irréductible entre vous et Ousmane SONKO. Votre volonté de pacifier l’espace politique, perceptible dans l’entretien que vous accordez à certains organes de presse, doit être traduite en acte, dans les plus brefs délais et non dans les meilleurs. Si nous voulons rester dans une énergie positive, rester ce peuple plein de ressources et de ressorts que l’on nous envie tant , nous devons nous convaincre que « les contradictions à surmonter sont le terreau même de notre croissance», pour reprendre la formule d’ Antoine de SAINT-EXUPERY , dans « lettre à un otage» . Vous aviez dit que vous ne ferez pas moins que vos prédécesseurs, Monsieur le Président. Pensez à l’appel de la Korité du Président Abdou DIOUF, adressé à son teigneux adversaire de l’époque, Abdoulaye WADE. En temps de crise, ils ont su s’oublier et faire passer la Patrie avant le parti. L’absence de recul réflexif et – peut-être – de mise en perspective a sans doute eu des effets sur l’attitude de défiance de certains éléments de l’ex-PASTEF. Mais, le fait est là : le leader de cet ex-parti, Ousmane SONKO, en l’occurrence, compte et pèse. Par conséquent, ce sont la démocratie et la République qui le veulent.

Ensuite , même si l’ on peut comprendre les motivations de certains candidats malheureux , qui veulent une reprise du processus , dans l’ espoir de pouvoir être partants , en vue de la présidentielle , ce qui s’ impose à nous tous , tant que le collectif des candidats retenus campera sur sa position , c’ est l’ organisation des élections , dans les délais , avec eux , comme uniques candidats . C’est cela qui paraît juste. Toute autre manœuvre visant à favoriser X ou Y ne fera que renforcer le sentiment – très présent au sein de la population – que le Président est en train de ruser, afin de gagner du temps. Vouloir réunir , un après-midi , tous ceux qui sont ciblés pour prendre part audit dialogue n’ est rien de moins qu’ une façon de faire passer ce qui , en théorie de négociation , s’appelle une demande exorbitante initiale , en vue de faire capoter le projet . Ceux qui, malheureusement, pensent que tout va s’écrouler, après le départ du Président, ne feront que du dilatoire. « Il faut vivre pour autre chose que soi », a dit André MAUROIS. Et cela passe par la capacité à « mettre son orgueil dans sa poche » et à pardonner. Plus que jamais votre slogan porteur d’espoir et de progrès « la Patrie, avant le parti », théorisé tout au long de vos mandatures, doit être appliqué. Les Sénégalais veulent certes être protégés, mais aussi que le droit et la justice soient exercés avec équité, tempérance et clarté, sans passe-droit. Que les ayants-droit (les dix-neuf candidats retenus par le Conseil constitutionnel) aillent en campagne et que les élections se tiennent avant le deux avril ! Cela ne semble pas négociable.

En tout état de cause, quelque puissent être les schémas arrêtés au terme du dialogue, ce qui demeure constant et incontournable est que, d’office, les 19, quel que soit le cas de figure, verront leur candidature retenue. Si cela est acté , il pourrait être envisagé la possibilité d’ aller à l’ élection , dans un élan de décrispation et de fraternité , en laissant le Président – en fonction – assurer l’ intérim , au-delà du deux avril , pour un temps bien défini avec , bien évidemment , à la tête du Gouvernement , une personne dont la probité , la compétence , le sens du devoir ne souffrent aucune contestation . Dieu sait qu’il y en a, dans ce pays. Le contexte géostratégique est suffisamment instable pour que nous ne prêtions pas le flanc. Notre défi existentiel est la stabilité, et tout le monde doit y contribuer.

Suis-je un idéaliste naïf ? Peut-être. Ai- je une passion pour mon pays ? Certainement.


Pape Mody NIANG
Universitaire et citoyen

2 commentaires

  • Ce dialogue est mort-né et le président de la République le sait très bien. Il veut juste diviser pour mieux régner en tentant de réunir des acteurs politiques aux positions inconciliables pour un impossible consensus. Comme vous le dites bien l’élection présidentielle devrait se tenir avec les dix neuf candidats retenus par le Conseil constitutionnel mais il est fort à craindre que l’on se dirige vers une impasse. A qui profite le crime ? Suivez mon regard.