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La guignolisation médiatique (Jean-Pierre Corréa)

Notre pays est effectivement un énorme brouhaha… qui assomme nos esprits et brouille toute velléité de réflexion. Ce brouhaha est voulu, souhaité. Il permet d’oublier qu’un député peut fabriquer 40 milliards de faux-billets et être libre comme l’air.

“Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir.”

H. Poincaré.

Si nous doutions encore de nos capacités à célébrer notre insondable désinvolture et notre joyeuse légèreté lorsqu’il nous faut évoquer des choses importantes et trouver des solutions à des problèmes sérieux, quelques faits médiatiques sont venus nous rappeler qu’en la matière nous étions les « premiers de la crasse ».

Il est réapparu sur les réseaux cette fameuse émission de Tounkara sur la 2STv, lors de laquelle un garçon en totale désespérance en son pays venait nous dire que contrairement à d’autres peuplades du monde, le génie sénégalais ne s’était illustré que dans l’invention de se donner les moyens d’assurer son incommensurable goût de la gaudriole. Et en plus, on fait les malins ? Alors que les esprits parmi les plus féconds du monde, comme Souleymane Bachir Diagne, Souleymane Mboup en étant les exemples les plus achevés, en 60 années d’indépendance, nous n’avons rien inventé… Pourtant l’ITA, l’Institut de Technologie Alimentaire, a développé des milliers de brevets liés à l’alimentation, Jacques Gasc a inventé IRRIGASC grâce auquel avec un demi-litre d’eau dans une éprouvette plantée dans les racines de l’arbre, des manguiers produisaient 4 fois leurs fruits, pourtant nous avons des grands chercheurs qui auraient pu travailler au diapason du monde entier à réfléchir à l’invention d’un vaccin lié à l’Artemisia… Mais on fait les malins… C’est facile “France Dégage” alors qu’on s’habille de surplus vestimentaires en criant “France reviens par la fenêtre”… On a su 60 ans durant et en toute désinvolture, inventer 75 danses aux noms souvent ridicules, comme « mayness », « goana », « salagne salagne » ou la bien nommée pour le coup « bolokass », mais aussi parfois grossières comme en français” mets-y bien tes couilles”, “na baggas yi dougou”, dansé avec légèreté dans l’indifférence des “gardiens autoproclamés” de nos vertus nationales… Quand en 60 ans on n’a su faire que danser au lieu de travailler… On arrête de faire les beaux sénéga…laids.

Cet état de fait, uniquement voué au festif, a entraîné une sorte de « mbalaxisation » des esprits, qui a engendré notre goût pour des actualités que nous adorons bruyantes et retentissantes, cultivant avec gourmandise notre côté « eupeutalaw » et « Teuss ».

Et notre espace médiatique s’en repaît à satiété, pollué qu’il est par le sens du raccourci qui nous tient lieu de pensées. Dans ce contexte, comme le dit justement le Professeur Jean Louis Corréa dont je m’honore d’être l’oncle, « il n’est pas exagéré de parler de foisonnement « d’experts » et de « professeurs » à la petite semaine, friands de théories du complot, rendus populaires par les médias sociaux, avec la grande prétention de prendre leurs idées pour des pensées. On échange et ne partage qu’avec son groupe d’affinité, les idées contraires engendrant des antagonismes, si ce n’est l’avènement du prêt à penser. Plus l’information est disponible moins elle sert à s’élever, et ne suscite pas une meilleure culture de l’en commun, du sens ». Fermez le ban !

Et si cette « mbalaxisation » des esprits s’est convoquée avec outrance ce vendredi sur la chaîne du justement nommé « roi du Mbalax » Youssou Ndour, ce n’est pas par hasard, cette télévision ayant pour signature « TFM, le miroir du Sénégal », car les invités de l’émission Jakarlo nous ont infligé une véritable punition en guise d’émission, qui au Sénégal n’a jamais atteint un tel degré de violence, de vulgarité et d’injures à l’intelligence. Durant 30 minutes le « sous-patron » de cette chaîne de télé et un invité ont créé un chahut incompréhensible et ont transformé leurs échanges en bordées d’insultes les plus graves, avant qu’un simulacre de page de publicité ne vienne sauver l’animateur de ce bordel médiatique, de la crise d’apoplexie, d’autant que « monsieur frère » l’avait menacé de le faire virer s’il ne remettait pas d’ordre sur son plateau transformé en foire d’empoigne. Et subitement, pendant cette pause salvatrice de ce qui restait d’intelligence et de d’éducation, j’eus conscience que jamais un tel slogan « Miroir du Sénégal » n’avait été aussi adéquat.

Notre pays est effectivement un énorme brouhaha… qui assomme nos esprits et brouille toute velléité de réflexion. Ce brouhaha est voulu, souhaité. Il permet d’oublier qu’un député peut fabriquer 40 milliards de faux-billets et être libre comme l’air, puisqu’un autre brouhaha prend le relais et agite ses « tamas de la renommée » autour d’une autre actualité, non moins scandaleuse de nos supposés guides religieux autoproclamés « gardiens de prisons et de la morale réunies ». C’est le brouhaha qui a permis que lors de cette émission les soi-disant politologues s’écharpent autour d’un thème super important pour l’avenir de notre pays, décisif pour l’avenir de nos jeunes qui fuient l’enfer que nous leur proposons pour aller mourir par milliers en Atlantique ou en Méditerranée, qui n’était rien d’autre que le capital souci de savoir si … Macky Sall avait rencontré Khalifa Sall. Quelle désolation et quelle vacuité pour de « si grands esprits ».

Voilà notre seule urgence… Savoir comment et par qui nous allons continuer à envoyer nos jeunes par 200 mètres de fond. Si les cons dansaient… Nous ne serions pas l’orchestre… D’ailleurs au lieu d’inventer un vaccin, on a créé une autre nouvelle danse. On ne se refait pas. Elle s’appelle « Corona ».

Jean-Pierre Corréa

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