La grève, telle qu’elle se pratique aujourd’hui, constitue l’une des formes de lutte et de revendication les plus emblématiques de l’héritage colonial. Introduite par l’administration coloniale, elle s’est progressivement imposée comme un mécanisme central de défense d’intérêts particuliers, parfois utilisé comme instrument de pression ou de chantage par certains acteurs syndicaux. Cet outil, qui nous a été inoculé par le régime colonial, est devenu au fil du temps une pratique cancéreuse, détournée de son objectif initial et source d’immobilisme dans notre trajectoire de développement.
Il faut le reconnaître : la grève est désormais l’un des legs coloniaux les plus lourds à porter, car elle sert de plus en plus à freiner la dynamique nationale et à fragiliser nos efforts collectifs. Symbole persistant de l’État colonial puis néocolonial, l’idée même de grève, dans son usage actuel, apparaît profondément incompatible avec l’ambition de mettre en œuvre des initiatives de développement structurantes, soutenues et durables.
Cependant, comment dénoncer les dérives de cet outil de revendication sans, dans le même temps, interroger les privilèges indus dont bénéficient beaucoup d’autorités, de hauts fonctionnaires et cadres de l’administration? Comment s’émouvoir des effets désastreux des grèves sur la cohésion sociale, sur la qualité de nos services publics et sur la formation de notre capital humain, tout en gardant le silence sur l’enrichissement légalisé et injustifié de certaines hautes autorités, hauts fonctionnaires et cadres de la République? L’indignation ne peut être sélective.
Le véritable problème se situe au cœur même de l’État néocolonial, qui a institutionnalisé des privilèges indécents et consolidé des corps socialement et politiquement protégés, souvent au détriment de la majorité condamnée à la précarité. Cet État, conçu dans la continuité du système colonial, reproduit des mécanismes de domination interne qui nourrissent frustrations, ressentiments et mouvements de contestation.
En réalité, la grève est un instrument occidental importé. Nos sociétés endogènes n’ont jamais eu recours à cette méthode pour résoudre leurs différends. Elles disposaient de mécanismes de médiation reposant sur la discussion, le dialogue continu, la participation des parties prenantes et la recherche du consensus. Jamais l’arrêt du travail, la violence symbolique ou l’escalade conflictuelle n’étaient considérés comme des moyens légitimes de régulation sociale.
Dès lors, pour comprendre la persistance des grèves et leurs effets socioéconomiques néfastes, il est indispensable de replacer au centre du débat la rupture historique avec nos mécanismes traditionnels de régulation sociale au profit de méthodes étrangères, façonnées par un système colonial puis néocolonial d’affaiblissement, d’exploitation et de domination. La grève n’est ni enracinée dans nos traditions, ni conforme à nos valeurs de résolution des conflits.
Il est d’ailleurs frappant de constater que la grève a souvent offert une influence disproportionnée à des individus qui, sans cette arme, n’auraient jamais eu la légitimité ni l’ancienneté pour prendre la parole dans les instances de la collectivité. Elle a parfois permis à des personnes dépourvues d’expérience de gouvernance, de leadership communautaire ou de gestion publique de façonner des décisions majeures pour la société.
Recommandations
Il est urgent que tous, syndicats, grévistes, autorités publiques, fassent preuve d’humilité et reconnaissent que le recours systématique à la grève constitue la perpétuation d’un héritage colonial inadapté à nos objectifs actuels. Nous devons décoloniser nos méthodes actuelles de revendication et rouvrir la voie à nos mécanismes endogènes de médiation, de dialogue et de résolution pacifique des conflits.
Dans le même temps, les gouvernants doivent cesser de mépriser les revendications des travailleurs et renoncer à certains privilèges qui, dans un contexte national et mondial marqué par la rareté des ressources, apparaissent indus et moralement injustifiables. La responsabilité est partagée, et la refondation du rapport social passe par un effort conjoint.
