L’institut français de Dakar a accueilli, le jeudi 11 janvier 2024, l’avant-première mondiale du documentaire « Essamaay, Bocandé la panthère », réalisé par le cinéaste africain du Sénégal Macky Madiba Sylla et Lionel Bourqui. D’abord, une partie d’ambiance extraordinaire a été assurée par les supporters Casa Sport, où nous avons eu l’occasion de revisiter la riche culture casaçaise avec sa profondeur et sa diversité, qui est l’une des rares aujourd’hui qui sont restées intactes, profondément ancrées sans presque aucune influence extérieure.
Ensuite, à 20h précises, le voyage au cœur de l’immense œuvre de la légende éternelle (Bocandé) a commencé. Le réalisateur Macky Madiba Sylla nous plonge dans un océan de découvertes d’une étoile qui ne cessait de nous faire rêver, dès notre plus tendre enfance. Nous qui ne l’avons pas connu en tant que joueur mais avons entendu les talents multiples de l’homme, doté d’un esprit fécond en parfaite complicité avec son corps d’athlète, qu’il commandait à perfection.
Les souvenirs de la chanson dédiée à l’homme Bocandé restent encore frais dans la mémoire collective sénégalaise. Très jeunes, on répétait déjà ces paroles : « Avec Bocandé, mbëkk ball, teg dënn, dóor mu duggu, égal Bocandé. » Plus clair, Bocandé le footballeur c’était à la fois : les coups de tête, les coups de poitrine et les buts enchaînés. Cette chanson rythmique, connue et chantée par beaucoup de jeunes de la génération avant 2000 et même après, décrivait parfaitement les qualificatifs du géant du ballon rond et la batterie de qualités rassemblées sur son seul homme.
Autant de capacités chez un sportif africain, il fallait urgemment préserver ce patrimoine avant que ça ne disparaisse à jamais, comme nous avons l’habitude de le voir chez toutes les figures africaines et panafricaines qui ont écrit les plus belles pages du livre de l’histoire de l’Afrique et du monde. D’autant plus que la génération africaine du 21e siècle, bien que ambitieuse et décomplexée, est toujours frappée par les foudres de l’influence occidentale et orientale qui fragilisent jusqu’ici son esprit.
Dans ce climat de concurrence où seuls les rêves fous et la confiance inébranlable en soi comptent pour arriver au plus haut sommet, il leur faut, en plus d’une profondeur historique et culturelle, des modèles, des exemples concrets qui ont conquis le monde. Pas une simple conquête, mais en entrant dans des cercles restreints qui n’étaient réservés qu’aux initiés, pour rêver, jouer, gagner et triompher, en faisant preuve de génie indiscutable.
Dans son ouvrage « Lumières noires de l’humanité », le professeur Oumar Dioume est revenu sur les figures de proues africaines et de la diaspora qui ont fait bouger les barrières de l’impossible et ont apporté une immense contribution que l’humanité continue toujours d’en profiter.
Au-delà des domaines scientifiques et techniques, l’immense terrain sportif avait été conquis par ces derniers. Dans un élan de rappel historique, l’auteur a cité des talents comme :
José Léandro Andrade, surnommé « la Merveille noire », qui avait brillé avec l’Uruguay, remportant deux titres olympiques (1924, 1928) et la Coupe du monde 1930 grâce à un jeu élégant et une maîtrise technique rare.
Raoul Diagne, ou « l’Araignée » pour son envergure, évolue principalement au Racing Club de Paris et se distingue par sa polyvalence, occupant plusieurs postes avec une grande efficacité.
Larbi Ben Barek, surnommé « la Perle noire », illumine d’abord l’Olympique de Marseille, puis l’Atlético Madrid. Sa vision du jeu et sa créativité font de lui l’un des pionniers du football moderne.
Eusébio da Silva, connu comme « la Panthère noire », il marque durablement l’histoire avec le Benfica Lisbonne, où il devient l’un des meilleurs buteurs de son époque grâce à une puissance et une précision impressionnantes.
Autant d’exemples frappants des premières époques du football moderne, qui constituent simplement une preuve de notre attachement à la conscience historique, aux récits nationaux forts. Sinon, d’autres plus récents comme Mbappé, Ousmane Dembele, Lamine Yamal ou Sadio Mané pouvaient aussi être choisis pour expliquer une certaine hégémonie de beaucoup d’Africains aujourd’hui dans le football mondial.
BOCANDÉ : L’EXEMPLE DE RÉUSSITE DANS L’ÉCHEC, SYMBOLE DE PERSÉVÉRANCE
Comme nous l’avons constaté dans le documentaire, Bocandé est né au Sénégal en Casamance, dans une zone où aucune lumière n’était braquée pour détecter son talent de footballeur, qui est peut-être inné mais battu par le travail jusqu’aux résultats incroyables enregistrés plus tard. C’était un jeune enfant africain décidé qui ne voyait que le football comme porte de sortie. Sa sœur en témoigne dans le film. Bien que sa famille tenait vraiment aux études, lui, il voyait en sa personne le garçon qui allait écrire les plus belles pages de l’histoire du football sénégalais et mondial.
Rassembler des morceaux de tissus pour en arriver à un ballon, il en a fait, en premier, comme tous les enfants africains d’ailleurs. Et nourrir son rêve jusqu’à sa révélation au grand jour par le public sénégalais, africain et mondial, c’était l’épisode suivant.
Alors qu’il évoluait à l’équipe de Casa Sport, son équipe devait affronter Jeanne d’Arc de Dakar dans un match électrique où l’enjeu dépassait le football jusqu’à révéler un caractère politique. Le match était un fiasco total. Doyen Abdoulaye Diaw nous parle même de scènes d’une rare violence. Après le match, le climat était très tendu. C’est ainsi que Bocandé a suivi l’arbitre et lui a donné un coup de pied, un acte qui lui a valu une suspension à vie. C’était donc fini pour Bocandé, lui qui avait pourtant dédié sa vie au ballon rond.
Maintenant que l’irréparable s’est produit, il fallait se reconvertir ou chercher une alternative, mais pour le jeune joueur qui avait une carrière prometteuse devant lui, continuer était la seule option. Ainsi, il a repris les entraînements et reste optimiste malgré sa suspension définitive.
Certes, notre culture africaine est basée en grande partie sur la tolérance et le pardon. Il arrive parfois que nous Africains ayons des comportements qu’aucune tradition culturelle ne peut expliquer. Certaines des mesures radicales et irrévocables n’ont de justifications que pour montrer son autorité abusive et ceci est un réflexe colonial. Pourtant, aucune nation ne peut survivre si elle continue de faire des sanctions sans jamais penser revenir sur ses décisions pour offrir d’autres occasions. Avec une énergie de jeunesse débordante, à ce stade où tout garçon peut être profondément submergé par les émotions, un jeune peut parfois avoir plus besoin de leçons que de sanctions.
Pendant que son Sénégal natal refusait de lui offrir une seconde chance, la Belgique est venue jusqu’en Casamance très enclavée à l’époque pour chercher la pépite Bocandé, alors qu’elle n’avait aucune garantie de sa gloire prochaine dans le monde du football. Une suspension définitive seulement n’a pas suffi au Sénégal pour le cas Bocandé, il est allé jusqu’à faire traîner son passeport, après que le jeune ait convaincu les Belges pour effectuer son voyage.
Sans surprise, Bocandé a réussi en quelques années à casser le championnat belge pour être dans le viseur du championnat français. De grandes écuries européennes, notamment françaises, ont ainsi manifesté leurs intérêts pour le jeune talent sénégalais. Bocandé atterrit à Metz, ensuite Paris Saint-Germain, OGC Nice et RC Lens. Il finit par remporter le trophée de meilleur buteur du championnat français, en 1985-1986.
La différence de traitement du jeune entre les deux pays confirme le comportement mesquin de toujours de nos nations africaines envers leurs ressources humaines précieuses. Elles étouffent constamment le rêve de leurs enfants les plus brillants jusqu’à les pousser vers la fuite, en bloquant ensuite toutes les issues, et une fois que ces derniers trouvent une occasion de révéler leur savoir-faire aux yeux du monde, ils retournent avec leurs yeux doux pour faire de la récupération. Cette récupération qui, pour moi, devrait être une négociation, une diplomatie sportive, surtout pour les jeunes Africains d’origine qui ne sont pas nés et grandis dans le continent et qui ont été formés et entretenus par d’autres nations jusqu’à leur réalisation, dans un contexte différent et parfois avec une culture différente. Ces derniers reçoivent souvent des vagues d’insultes et de critiques parfois très amères dès l’instant qu’ils révèlent leur intention de ne pas jouer pour leur pays d’origine. Pourtant, un simple raisonnement lucide permet de comprendre logiquement que ces pépites, malgré tous les discours et justifications que nous pouvons avoir sur elles, ne doivent rien à leur pays d’origine. Car l’enfant se nourrit d’influence culturelle qui forge sa personnalité. Si nos fédérations sportives africaines refusent de créer un environnement inspirant et stable, avec des dirigeants sérieux qui connaissent les enjeux et se battent pour le triomphe du projet auquel ils ont la commande, nous perdons toute raison de cracher sur ce qui ne nous choisissent pas. Raison pour laquelle nous devons mieux sensibiliser les supporters sénégalais et africains sur ces questions, et d’être le plus tendre possible avec ces binationaux et surtout de ne pas leur montrer un sentiment de mépris, même avec ceux qui avaient déjà tenu des discours contraires à nos attentes.
BOCANDÉ, UN PATRIOTE NÉ
Malgré son rêve brisé par le Sénégal, même avec ses mésaventures et déceptions causées par sa propre nation, Bocandé ce patriote né, n’était plus obligé de porter le Sénégal dans son cœur. Beaucoup de jeunes talents africains qui ont subi moins ont naturellement effacé leur pays d’origine dans leur plateau de choix, mais avec un Bocandé ancré, dépourvu d’esprit revanchard, de vengeance, il a aussitôt éclipsé tout sentiment d’apatride et renouvelé son attachement profond au pays de la teranga.
Le choix des termes « patriote né » pour désigner Bocandé n’est pas anodin. L’homme a montré plus d’une fois aux générations futures africaines que la défense de votre patrie doit être le seul et unique but de votre existence en tant qu’humain. Et ce ne sont pas des mots mais des actes concrets posés pour la postérité.
Alors que Bocandé était au sommet de sa gloire dans les championnats européens, il voulait quitter son club pour rejoindre coûte que coûte son pays d’origine lors d’un match du Sénégal. Pensant que les autres stratégies ne vont peut-être pas marcher, Jules François Bocandé a suivi la voie de son cœur. Il n’a trouvé mieux que d’insulter l’arbitre en plein match et le remercier par un merci après avoir récolté un carton rouge.
L’autre acte rare de patriotisme que Bocandé a posé, c’est de casser son contrat à Lens qui restait 1 an, après sa grosse désillusion à la coupe d’Afrique des nations de 1992 organisée par le Sénégal.
L’AUDIOVISUEL EST LE CHEMIN POUR LA RENAISSANCE DES FIGURES INCONTOURNABLES AFRICAINES
Garder en vie ses héros, l’Afrique a toujours négligé ce chantier. Pendant que les autres peuples font ressusciter leurs grands humains en « rebâtissant » l’imaginaire collectif perdu de leurs enfants, l’Afrique, elle, reste toujours spectatrice face à ce jeu mondial où le capitalisme culturel bat son plein.
Dans ce 21e siècle du soft power sauvage, l’audiovisuel ne doit pas servir de décor aux pays africains, pendant que les occidentaux et orientaux l’utilisent pour renforcer notre sentiment d’aliénation envers eux. En plus de l’investissement massif dans l’éducation des masses et de la floraison de maisons d’éditions, il faut penser imaginer toute la puissance de notre culture de façon imagée et de l’exprimer de façon très simple et lucide. Qu’il s’agisse de tradition orale ou écrite, ou des pratiques culturelles qui ont guidé l’humanité jusqu’ici.
Nous pensons aujourd’hui qu’avec ce vent de révolution des mentalités, la maîtrise de nos contenus par le biais de financement porté par les États africains doit être une priorité absolue. Ensuite, l’encouragement des maisons de productions, pour non seulement la formation de talents lucides capables de nous rassembler mais une maîtrise accrue de notre contenu africain, penser et panser par nous et pour tous.
Le seul vrai projet qui gardera les grands humains africains en vie est celui de l’audiovisuel. Donc, multiplier des initiatives de ce genre permettra de faire découvrir à la jeune génération future toutes les légendes africaines et de briser le mythe de l’impossible dans leurs esprits. Une approche qui permettra d’effacer le « c’est trop beau pour être vrai » dans leur conception et leur faire vivre pleinement leur rêve, en offrant leur personne à la terre mère, « fertile et nubile qui a donné au monde sa chaleur humaine ».
Bocandé est un géant, j’ai eu raison de croire à cela, ce soir. Immense respect aux réalisateurs Macky Madiba Sylla et Lionel Bourqui.
Lamin Al’amiin Jóob
Journaliste chroniqueur, copywriter en langue wolof, créateur de contenus positifs, déconstructeur de mythes

Merci beaucoup