DIOMAYE – SONKO : La trahison est consubstantielle au parti politique (Par Pascal Oudiane)

La complexité du duo Diomaye – Sonko réactualise le principe d’homogénéité des idées dans le parti politique.
Un des priorités d’un parti politique, c’est de rassembler des personnes qui partagent la ligne du parti c’est-à-dire son idéologie et ses valeurs. En conséquence ce principe rend impossible l’existence d’un pluralisme c’est-à-dire l’expression et la cohabitation d’idées divergentes dans le parti. Lorsque l’opportunité d’exprimer une position contradictoire avec celle du parti se présente, la saisir c’est prendre le risque de diviser et d’affaiblir le parti. Dans un parti on est supposé faire bloc et dépasser les désaccords internes. Lorsqu’un responsable politique prend une position divergente par rapport à la ligne officielle du parti, le lexique politiste parle de ligne dissidente15. Quand la divergence touche non plus un membre mais un groupe de membres, on ne parle plus de dissidence mais on parle de scission, de clan au sein du parti. Donc en définitive adhérer à un parti, c’est renoncer à exprimer une pensée contradictoire, renoncer à l’exercice de la raison critique car celle-ci menace à tout moment de fragiliser l’équilibre et la stabilité du parti. Le fait d’exprimer une idée au nom d’une appartenance politique peut prêter à interrogation. Par exemple adhérer à une idée non pas parce qu’on la juge vraie mais parce qu’elle fait partie des principes idéologiques du camp politique auquel on appartient c’est créer les conditions de la pensée mécanique c’est à dire un refus de pensée. Autrement dit, la pensée est sacrifiée sur l’autel du consensus. Au lieu de s’inscrire dans une posture hégélienne de dépassement en tolérant la critique et l’expression de désaccord, le parti politique perçoit la pensée divergente comme une désobéissance, une déloyauté qui peut être le germe de la trahison. La philosophe Simone Weil explique bien que la pensée du parti exerce une pression sur la pensée des individus qui le composent. La pensée du groupe renvoie à ce que Emile Durkheim appelle la pensée collective à travers son pouvoir de coercition et sa capacité à se substituer à la pensée individuelle. On n’attend du militant qu’il soutienne les idées du parti. Le militant qui se trouve en situation de divergence vis-à-vis de la ligne du parti doit faire un choix: la fidélité au parti ou l’infidélité à sa pensée. Dans les deux cas précités, il y a trahison. Donc le dilemme du militant c’est un dilemme d’ordre moral c’est à dire choisir qui trahir : renoncer à l’exercice de son esprit critique ou trahir le parti. La trahison au parti est toujours sanctionnée.
La trahison est consubstantielle à l’appartenance à un parti politique, tôt ou tard le membre d’un parti sera confronté au jour où il devra trahir le parti ou bien se trahir lui-même.
Les citoyens, désirant prendre part efficacement aux affaires publiques, adhérent par nécessité au parti politique et se retrouvent dans l’obligation de subir la ligne du parti. Se taire c’est infertiliser son sens critique. Par extension, ils trahissent leur objectivité en acceptant de ne pas être libres de jugement. Ceci est un mal identifié que porte le parti politique contre l’intellectualité et les personnes qui sont dans cet état. Les militants politiques sont piégés par une résolution de fidélité exclusive entre la liberté – lumière intérieure de soi- et la discipline extérieure du parti.
Pour illustrer ce point de vue, lorsqu’il faut mentir au public envers qui tout candidat élu à une obligation particulière de vérité, quelle serait la réaction du militant appelé à dire, au nom de son parti, des propos qu’il estime contraires à la vérité et à la justice ? Il peut éventuellement résister au parti et ne pas verser dans le mensonge. Mais quoi qu’il en soit, le militant aura en face de lui trois destinataires de mensonge possibles : le parti, le public ou sa propre personne.
Le premier destinataire probable est de loin la moins mauvaise car l’appartenance à un parti contraint toujours au mensonge. Pour cela, Simone Weil déclare que l’existence des partis est absolument inconditionnellement un mal. Pour S.Weil, un esprit libre dans un parti politique c’est comme un spécialiste de l’improvisation dans une pièce de Racine. Ça ne marche pas et ça ne peut pas marcher parce qu’il y a incompatibilité des approches. Il y a conflit d’intérêt entre l’attachement à la vérité et l’unité du parti.
Un parti politique, c’est une organisation qui cherche à faire avancer ses idées et non pas les remettre en cause. Les remettre en cause, c’est laisser apparaître une faille. C’est donner à l’adversaire une occasion de s’engouffrer dans cette faille et de nous détruire.
Plus on tolère l’expression d’opinions divergentes et plus on brouille la ligne du parti et on renvoie l’image d’un parti morcelé et inconsistant, ce qui est très mauvais pour la crédibilité. On ne peut pas se permettre de douter quand notre objectif est de prendre le pouvoir. Un parti politique est aussi efficace lorsqu’il atteint son objectif de créer de l’adhésion.
Pour accéder au pouvoir, il doit faire taire les voix discordantes, quand bien même elle serait du côté de la vérité. Les idées ne triomphent pas parce qu’elles sont vraies, les idées triomphent parce que la force est de leur côté.


Pascal OUDIANE.
Extrait ouvrage Pascal Oudiane (2024) Gouvernance sans parti , la société civile au pouvoir , société politique contre société civile , prétexte d’une alternance Ed. EUE, Tome 1 p.23-26.

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