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Assises de l’UPF : Dix proverbes wolof pour parler du journalisme de guerre (Par Mademba Ndiaye)

Je suis sans doute le moins outillé dans ce panel pour parler de la place et du rôle des media en temps de guerre ! Les seules guerres que j’ai couvertes ont été plutôt sans canon ou avec des canons à pesticide comme la guerre contre les criquets pèlerins ! Convenez que c’était moins risqué que les guerres qui ont valu de prestigieux prix à mes camarades de table panélistes.

Cela dit, reporters de guerre est sans doute le seul métier dont nous souhaitons tous la disparition, celle-ci devant être engendrée par la disparition de son objet de reportage. Encore qu’avec ce que nous promet l’intelligence artificielle, je me demande si les guerres basées sur l’intelligence artificielle ne seront pas finalement totalement couvertes aussi par elle.

Alors, du coup, pour cette conversation, je me mets plutôt dans la peau du Sénégalais qui lit, écoute ou regarde des journalistes d’ici et d’ailleurs qui prennent des risques énormes pour lui rendre compte de ce qui se passe dans des continents qui pensaient en avoir fini avec la guerre, comme l’Europe, ou qui sont devenus le terrain de nouvelles guerres dits asymétriques au contours encore flous allant de la Djihad à la guerre civile ou au génocide comme sur le continent africain.

Et comme nous sommes au Sénégal, je vais puiser, dans notre sagesse populaire wolof, dix dictons ou proverbes, pour m’interroger ou plutôt pour vous interroger sur le journalisme en temps de guerre.

Comme il s’agit de rapporter, de dire et de montrer ce qu’on voit sur le terrain, évidemment le premier proverbe wolof qui me vient à l’esprit est celui-ci : «Kula abal bët fuko neex ngay xool», littéralement quand une personne te prête des yeux, tu regardes dans la direction qu’elle veut. Évidemment je m’interroge souvent sur la direction du regard des journalistes « Embedded » (je voulais éviter ce mot dans ces assises de l’Union de la presse francophone mais je ne sais quel mot est agréé par votre organisation entre —incorporé · incrusté, intégré, embarqué, en immersion, etc.) dans une armée pour couvrir une guerre. Peut-il voir ou ose-t-il regarder et rendre compte de ce qu’on ne lui montre pas ? Ce qui pose évidemment toutes ces questions relatives à l’Impartialité, l’objectivité, l’honnêteté, l’esprit critique, bref toutes ces valeurs qu’on trouve en parcourant les chartes et code de déontologie dont aucune, à ma modeste connaissance, ne dispose que le temps de guerre est une période permettant les dérapages, parfois outranciers, par rapport aux règles qui fondent le métier de journaliste.

Et des écarts par rapport à la déontologie, il y en à foison. Surtout lorsque qu’il s’agit d’une soudaine mutation d’un/d’une journaliste de plateau en journaliste en casque et en gilet pare-balles. Dérapages les transformant en simple répétiteur, supposé plus crédible, de messages qui sont travaillés par les communicants de l’armée jugée la plus sympathique, messages présentés comme des informations recueillies sur le terrain. Ainsi selon qu’on s’immerge dans l’armée russe ou l’armée ukrainienne, le statut de la Crimée n’est pas le même.

Pour un reporter cherchant à couvrir ses forfaitures journalistiques, il pourra citer, à tort il faut en convenir, ce précepte de la société wolof « Teranga, terangaa mo kay fay» qui se traduit « La bonté se paie par la bonté ». En effet, pour reprendre les chercheurs Souleymane Yoro et Mor Talla Cissé , « La reconnaissance fait partie des qualités humaines et des valeurs fondamentales que la société wolof cultive. Celle-ci considère les actions de bien comme un crédit à la banque. C’est pourquoi, le bienfaiteur est considéré comme un créancier. La bonne action qu’il accomplit peut être ainsi assimilée à une dette que le bénéficiaire est obligé de payer si l’occasion se présente ». Et comme la reconnaissance est une action qu’on peut matérialiser sous plusieurs formes, on peut, par exemple, par reconnaissance au propriétaire de l’hélicoptère vous déposant sur le « champ de bataille, expliquer doctement que l’occupation de l’Ukraine est, par nature, différente de l’occupation de la Cisjordanie et viceversa. Évidemment une telle « information » rend confus le commun des mortels car, comme le dicton wolof, « Saa-saay waxul dëgg; waaye yàq na xel», en somme le « bonimenteur ne dit pas la vérité, mais il sème le doute dans les esprits ».

Cependant, la sagesse wolof permet également l’optimisme du récepteur de l’information quant au respect de la déontologie professionnelle par le journaliste, en toute circonstance pour remplir son devoir d’informer, après avoir pris toute les précautions pour assurer sa sécurité.

En temps de de guerre, nous attendons des media traditionnels (ce serait trop demander aux réseaux sociaux !) même en immersion (car Ku amul la nga bëgg, am la fa sës : Nécessité fait loi car être embedded est parfois le seule moyen d’être sur le terrain) nous attendons donc des informations aussi précises et équilibrées que possible sur le conflit et ses conséquences humanitaires et diplomatiques. Et nous souhaitons aussi des mises en perspective permettant une meilleure compréhension du conflit, y compris l’impact des strates sociales ou même des cousinages a plaisanterie dans un conflit ouest-africain. Avec un penchant pour la paix et non pour l’extension du conflit car, Làmmiñ lu mu wax mucc ca, bam u des nañu kaanil ñam wi : La langue (l’organe) peut tout dire sans conséquence sur elle, sauf « Augmentez le piment dans la sauce ») ! A force d’information pour un feu plus nourri, on risque en effet de bruler.

Pour éviter une si fâcheuse pratique, le wolof vous dira “Ab sàmm a waral béy deewul.”, autrement si le chèvre a survécu, c’est grâce au berger. Le berger, c’est cette petite lumière dans le cerveau qui rappelle à notre journaliste que sa mission est de satisfaire le droit du public à une information vérifiée. Et dans ce contexte, notre journaliste devra toujours savoir que Wax dëgg, du wàññi wërsëg, c’est à-dire, dire la vérité ne diminue en rien les chances d’une personne, notamment pour remporter un Albert Londres ou un Pultizer !

En même temps, je me dis que le journaliste irrespectueux des règles de sa profession en temps de paix sera tout aussi dangereux pour l’opinion en temps de guerre car Bant lu mu yàgg yàgg ci ndox, du sopli ku mukk jasig Ce proverbe signifie : « Un morceau de bois a beau rester dans l’eau, mais il ne se transformera jamais en crocodile ». Le sens saute aux yeux. Et les armées sont plutôt à la recherche de ces bois qui, sans sourciller vont répéter les éléments de langage fournis par le militaire porte-parole et elles en trouveront toujours puisque, disent encore, les wolof Bu Mbul bañe, Làmbaay nangu, si Mbul refuse avec des journalistes droit dans leurs bottes éthiques, Làmbaay va accepter avec des media propagandistes par choix ou mercantiles par nécessité !

En effet, les écoutant à longueur de journée et de nuit, j’ai parfois l’impression que la concurrence entre media, surtout en début de guerre, conduit à toutes les compromissions et surtout aux excès, avec des certitudes balancées sans jamais tenir compte de l’évolution possible des situations. Récemment la chaine française LCI s’est livrée a un intéressant exercice avec une VAR sur les anciennes analyses sur l’effondrement de la Russie et de Poutine lorsque l’invasion ou les opérations spéciales de l’Ukraine a commencé.

Tout cela est facile pour qui n’a jamais couverte une guerre autre celle contre les nématodes donc sans risque de censure, de contrôle de l’information, de restrictions des libertés démocratiques ou de menaces sur les sources d’information et tout cela au nom de la sécurité intérieure, uniquement définie, dans le contexte de guerre, par le pouvoir militaire. Oui je sais que la réalité est bien complexe et heureusement que vous avez dans cette salle des journalistes qui vont vous en parler en connaissance de cause. Et donc, le dixième et dernier dicton s’adresse, non pas aux journaliste de guerre, mais á ceux et celles qui, comme moi, parlent trop : Si ta langue ne se fatigue pas, au moins pense aux oreilles qui t’écoutent ! Je vous remercie !

Mademba Ndiaye – mademba.ndiaye@gmail.com

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