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Après le littoral, le patrimoine (Jean Charles Tall)

Décidément, l’immobilier est le secteur le plus porteur… de controverses et de polémiques de notre microcosme politique. Les échos des invectives et des difficultés sur le littoral et sur Djingueler ne se sont pas encore effacés de nos oreilles, que nous sommes déjà mobilisés sur un autre scandale: la démolition annoncée du marché Sandaga.
 
Dans une contribution, il y a, à peu près un an, nous avions interpellé monsieur le Directeur du Patrimoine Culturel, qui est le responsable de la protection du Patrimoine Classé de notre pays (Voir Sud du 29 août 2019 ). Il est temps de nous adresser directement à monsieur le Président de la République et à messieurs les Ministres de la Culture, du Cadre de Vie. Il n’est pas nécessaire de revenir sur le débat philosophique sur le Patrimoine. Les échanges passionnés qui ont lieu dans ce pays sur la réinstallation ou non de la statue de Louis Faidherbe à Saint-Louis, sur les noms des lieux, rues et places montrent que le Peuple sénégalais est conscient des enjeux que représente le Patrimoine et de sa place dans la formation d’une conscience nationale, d’une Nation.

Apparemment, seuls les hommes politiques ne savent pas ce qu’est un patrimoine. Leurs logiques semblent étriquées et ne s’arrêtent qu‘à une vision manichéenne de leurs intérêts. Premier exemple : l’immeuble Brière de Lisle près de l’Assemblée Nationale, en train d’être proprement dépecé. Il semble que cet immeuble classé, que des architectes appelaient «  la dentelle de pierre » , à cause de la qualité des claustras qui lui formaient quasiment une seconde peau, ait été attribué à un investisseur étranger . Celui-ci fait très peu cas de la sensibilité des Dakarois envers leur patrimoine et est en train de démolir un chef d’œuvre de l’architecture coloniale de notre pays. Pour y construire quoi ? Cet assassinat est couvert par le bruit fait autour du marché SANDAGA. Eh oui, ce fleuron de notre architecture est entrain d’être démoli, pour être «  reconstruit à l’identique  ».

La démarche sur SANDAGA pose quelques problèmes de légalité et de légitimité.
1. Le marché appartient à la ville de Dakar qui avait décidé d’en faire un espace culturel. Il est curieux que le Ministère du Cadre de vie veuille se l’approprier et imposer sur cet espace un projet qui n’a jamais été discuté avec le propriétaire.

2. La polémique autour de ce marché est caractéristique du système de désinformation qui prévaut dans notre pays. L’information est donnée de manière parcellaire. Les réseaux ont été envahis par cette image d’un Sandaga rénové alors que l’image de l’immeuble à bâtir derrière était soigneusement cachée.

3. On a entretenu des fantasmes autour de la solidité de cet édifice. Certes, il a mal été entretenu et comporte des éléments à consolider sérieusement. Cependant, il y a eu une mission du bureau de contrôle SCAT-Internationale et une mission de la Direction de la Protection Civile. Aucune de ces missions n’a préconisé une démolition. Si cet aspect est source de polémique, il est simple de publier ces documents, ou , de demander une dernière expertise indépendante pour déterminer s’il est nécessaire de démolir le bâtiment.

4. Il semble, en réalité, que la structure soit moins atteinte que les autres corps d’état (électricité, plomberie, peintures, systèmes de sécurité, etc… qui devront être entièrement mis à neuf.

5. Le marché SANDAGA est également un monument classé à la liste du patrimoine national. De ce fait, il n’est pas possible d’avoir sur ce marché, une intervention, disons « fast-track » pour rester dans le jargon à la mode ces temps ci.

Pour intervenir sur cet immeuble, il faut :
a. Recueillir l’avis de la Commission Supérieure des Monuments Historiques
b. Avoir une autorisation de démolir
c. Avoir une autorisation de construire, en bonne et due forme, que l’on soit personne physique ou morale.

6. Or l’autorisation de construire ne peut être délivrée qu’au propriétaire ou à l’ayant droit. Si la Mairie de Dakar a demandé une autorisation de construire, nous devons le savoir. Toute autorisation qui aurait été délivrée à une tierce personne est illégale. Et je n’ose pas imaginer que monsieur le Ministre du Cadre de Vie puisse construire (même à l’identique), sans autorisation de construire… ou puisse démolir sans autorisation de démolir. Tout le monde sait qu’au Sénégal, nous sommes très à cheval sur le respect des règles et lois.
7. Enfin, il faut définitivement que nous sortions notre pays du syndrome « wax sa xalaat ». Kuy wax sa xalaat, waxulo li nga xam, li nga xalaat ngay wax.

* Pour une fois, permettons aux spécialistes de la question de se prononcer sur la faisabilité du projet. Quand ils auront étudié et dit ce qu’il faut faire, ce sera le temps pour les politiques de faire leur travail réel ; impulser les conditions qui permettront au projet de se faire, de la meilleure des manières possibles, dans l’intérêt du pays et de sa population.

Que les politiques se contentent de définir les lignes directrices. Qu’ils impulsent les orientations politiques. Ils sont élus pour cela. Mais la vraie démocratie suppose que les déclinaisons des volontés politiques soient discutées, que leur mise en œuvre soit concertée. Un élément du patrimoine appartient à toute la Nation. Il porte notre histoire et permet de donner une ligne directrice à notre futur. Il détermine en partie l’image de notre ville. Il permettra de donner à nos descendants une idée de qui étaient leurs ancêtres et des déterminants qui structuraient leur vision du monde. Il est trop important pour que son sort soit réglé entre les murs feutrés d’une administration, quelle que soit sa compétence. Le patrimoine est une chose trop sérieuse pour être laissée entre les seules mains des décideurs politiques. Après le massacre de l’immeuble Brière de Lisle, nous ne devons pas laisser un autre pan important de notre mémoire disparaître.
 *(Donner son point de vue n’est pas se prononcer sur ce que l’on sait. C’est donner un point de vue)

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