À quoi ressemble la vocation d’une université en 2025 ? (Par Youssoupha Diop)

Au début des années 1970, une revendication était largement partagée pour la naissance d’une université africaine. Cela avait conduit à des mouvements estudiantins très déterminés pour la transformation radicale de notre université de Dakar dont la vocation était irrémédiablement panafricaine avec des étudiants venant de tous les pays francophones d’Afrique, des enseignants venant de pays étrangers, particulièrement en faculté de droit.
Si des partisans de l’université Africaine défendaient avec acharnement ce projet, il y avait également de sérieuses contestations fondées sur le fait qu’une institution à vocation universelle, comme son nom l’indique, ne saurait revendiquer une identité exclusivement Africaine.
Faut-il se faire à l’idée que l’université Africaine est devenue, Aujourd’hui, une université SÉNÉGALAISE?
Pourquoi pas ? Tant et aussi longtemps qu’elle poursuit ses missions essentielles à savoir : être un espace de débat, de culture et de citoyenneté, Un lieu d’ouverture où se confrontent idées, disciplines et cultures et qu’elle favorise:

  • la liberté d’expression, le dialogue démocratique, la formation de citoyens responsables et engagés.
  • La Réduction des inégalités sociales, économiques et territoriales
  • La mixité sociale et, corrélativement, des opportunités de réussite pour un plus grand nombre.
    Pour ce faire, l’université doit rester un lieu central de création de connaissances scientifiques, technologiques, sociales et culturelles. Elle produit des recherches fondamentales et appliquées qui alimentent l’innovation, la compréhension du monde et les progrès sociétaux.
    Toute son organisation doit, subséquemment, être centrée sur l’innovation, la Contribution au développement économique, la transition numérique et écologique. Elle doit jouer un rôle moteur dans la compétitivité de notre économie et dans le développement durable. Par la recherche collaborative et la coopération internationale favorisant les échanges d’étudiants, l’université contribue à la mondialisation du savoir et la compréhension entre les peuples.
    Dans le monde actuel, marqué par les défis technologiques, environnementaux et sociaux, l’université est plus que jamais un pilier du progrès, de la démocratie et de la transformation des sociétés. Elle forme, innove, éclaire et relie les individus, tout en construisant les orientations futures.

Dans la déclinaison de leur vision et de leurs missions, les plus grandes universités du monde, situées pour la plupart en Amérique du Nord, se fixent comme finalités :

  • D’avancer l’apprentissage, en encourageant la création, la transmission et l’application des connaissances.
  • D’offrir une formation de haute qualité aux niveaux du premier cycle, des cycles supérieurs et de l’enseignement professionnel.
  • De mener des recherches et activités savantes de calibre international, fondées sur la rigueur scientifique et l’innovation.
  • De servir la société, en mettant le savoir au service du bien public et en contribuant au développement social, culturel, économique et scientifique du monde.
  • De favoriser un environnement où créativité, esprit critique et liberté académique peuvent s’épanouir.
  • D’attirer et de soutenir une communauté diversifiée d’étudiants, de chercheurs et de partenaires internationaux.
  • De transformer les découvertes scientifiques et les avancées intellectuelles en bénéfices concrets pour la société.
  • De créer une communauté accueillante et inclusive, respectueuse des différences, et engagée envers l’équité et l’accessibilité.
  • De faire en sorte que l’enseignement, la recherche et l’innovation contribuent à l’amélioration du bien-être collectif.
    Elles affirment, sans conteste possible, leur universalisme, leur ancrage dans la création intellectuelle, l’innovation, la contribution au bien collectif et la quête permanente de bénéfices concrets pour la société.
    Ayant bénéficié à deux reprises en 1984 et en 1994 de bourses dans le cadre de visitorship programs aux USA, il m’a été donné d’être accueilli auprès de top universités américaines à New York, À Seattle, à Atlanta, à Boston, notamment.
    À Seattle et dans l’État de new York, l’occasion m’a été offerte de voir in situ auprès de Boeing et Carrier International, ce qui faisait de ces industries des leaders mondiaux comme le décrivaient Tom Peters et Robert Waterman Jr dans leur excellent livre intitulé IN SEARCH of EXCELLENCE, un des livres de management les plus influents de l’histoire. publié en 1982.
    À Atlanta et à Boston, j’ai eu l’immense faveur de bénéficier d’immersions dans des laboratoires de recherches qui m’ont permis de mesurer la réalité de ces engagements stratégiques articulés intelligemment entre l’université, le monde de l’entreprise, l’administration centrale.
    L’État de Géorgie étant une terre agricole où l’aviculture est extrêmement développée, Georgia Tech University a mis en place des programmes de recherche centrés sur la compétitivité de l’industrie de la volaille. Comment créer un système optimisé de plumaison et de découpe des volailles destinées à approvisionner le monde de la restauration rapide.

À Boston, comment maintenir en activité des professionnels victimes d’accidents ayant entraîné la perte d’un membre. Harmonieuse collaboration entre OSHA, (Occupational, Safety and Heath Administration), Liberty Mutual Insurance Company et le monde universitaire pour la création, voire, l’amélioration de prothèses entraînant une réhabilitation quasi parfaite des fonctions motrices de victimes d’accidents jusque-là condamnées à percevoir des compensations coûteuses pour la collectivité.
Dans ces deux cas de figure que j’ai évoqués, ce qui est remarquable c’est l’intelligence opérationnelle qui a été mise en place pour résoudre grâce à une synergie de compétences et de savoir-faire des problématiques réelles aux retombées incommensurables :
À Boston, une compagnie d’assurance confrontée avec des paiements énormes d’indemnités compensatrices, en accord avec l’Administration chargée de la sécurité et de la santé au travail a fait appel à l’expertise d’une université de classe mondiale pour créer un outil destiné à assurer la mobilité et l’inclusion de victimes d’accidents en général qui, jusque-là, représentaient des charges financières et émotionnelles immenses pour la collectivité.
La découverte aux conséquences économiques et sociales incommensurables sera rendue opérationnelle, non pas grâce au brevet délivré pour une recherche de financement mais par une complémentarité entre l’industrie qui va la fabriquer et les développeurs.
Elle va générer des revenus faramineux destinés à conforter les missions fondamentales de cette université de classe mondiale.
Cette même synergie sera mise en place pour les poulets de la Géorgie où l’industrie locale va créer tous les instruments destinés à l’exploitation efficiente de cette découverte à partir des laboratoires de Georgia Tech.
En parfaite osmose avec son écosystème sociétal, économique, écologique, l’université n’a plus vocation à imbiber de connaissances encyclopédiques ses étudiants, incapables de mettre en exergue, à la fin de leurs études, des compétences utiles à la collectivité.
Ce qui représente un handicap quasi insurmontable pour les immigrants qualifiés à leur arrivée au Canada, notamment. Quand même ils sont bardés de diplômes auprès de respectables institutions Africaines, voire, Françaises, ils ne sont pas capables d’Exprimer clairement en qui ils sont compétents et aptes à apporter une plus-value micro ou macroéconomique
Aussi, d’avoir entendu une haute autorité du Cames dire au détour d’une interview, que les enseignants de nos universités doivent aider les étudiants à développer des compétences afin de mieux comprendre le marché du travail pour trouver un emploi_ Ai-je bien entendu? _ m’a rendu, assurément, très inquiet.
Une telle déclaration, est, on ne peut plus éloquente du déphasage profond entre ce que sont les missions d’une université moderne, orientée vers le développement de compétences pour répondre aux besoins du marché du travail et une formation classique au terme de laquelle, l’étudiant, une fois diplômée, doit chercher à comprendre le marché du travail pour, lui-même, mettre en exergue ses habiletés propres dans la quête d’un emploi.

C’est, en effet, ce que nous tous, diplômés des années 1970, 1980, avions cru être un axiome, dans la continuation de ce que les diplômés universitaires des années 1960 ont toujours fait.
Le titre suffisait à être recevable sur un marché du travail non saturé où, jusqu’à la fin des années 1990, une simple maîtrise en droit, en sciences économiques, pourrait laisser prétendre à un emploi.
Est-ce envisageable de nos jours?
L’obsolescence de nos apprentissages nous pousse vers une réingénierie de nos connaissances après 25, voire 35 ans.
Pourtant, avec les mêmes programmes, en dépit d’un univers totalement différent, comme si nous avions changé de planète, les amphithéâtres des facultés de droit, de sciences économiques, que dire des facultés de lettres classiques et modernes, de langues, de sciences sociales ou de mathématiques pures…sont, toujours, remplies d’apprenants, futurs diplômés, chômeurs à plus de 80 pour cent ou dédiés à des emplois dégradants, parfois.
En effet, j’ai rencontré au bas d’un immeuble des HLM de Fass, un jeune homme éloquent et très policé, faisant office de gardien d’un immeuble. À la question de savoir d’où tenait-il son éloquence si distinctive, il m’a affirmé être titulaire d’une maîtrise en géographie depuis 6 ans et n’a jamais pu trouver un emploi. Les places pour être enseignant sont très limitées. C’est en donnant des cours comme répétiteur aux enfants d’un locataire de cet immeuble qu’il a pu trouver cet emploi de gardien au salaire de 75 mille fcfa qu’il peut partager avec ses parents restés au village. Sa dignité est ainsi sauvegardée à tout le moins.
Nos pays ont-ils besoin de former des dizaines de milliers d’étudiants en Anglais, en Allemand, en Espagnol, en Russe, en Italien, des centaines d’étudiants en sciences économiques, lorsque le marché du travail ne sollicite aucune demande dans ces domaines?
Nos universités ne doivent pas, non plus, former pléthoriquement, des étudiants pour alimenter le Brain drain, la fuite des cerveaux qui seront accueillis à bras largement ouverts dans d’autres pays sans coopération aucune avec le pays formateur. Au demeurant, de nombreux pays développent des programmes d’accueil très alléchants pour des immigrants qualifiés, bien formés sans coût aucun pour le pays d’accueil mais directement, employables, dès leur arrivée dans ce nouveau pays d’accueil.
Pendant ce temps, paradoxalement, l’université publique abandonne les formations les plus sollicitées par le marché de l’emploi aux universités privées qui prolifèrent dans les diverses disciplines du management: marketing, ressources humaines, gestion des opérations, les finances, la banque, l’assurance, le big data, l’intelligence artificielle, le génie du logiciel, les mathématiques de l’ingénieur…autant de disciplines pour lesquelles les étudiants choisissent les universités privées ou les études coûteuses à l’étranger.
Là aussi, le manque d’information sur les attentes du marché de l’emploi les conduit vers des choix ébouriffants comme les sciences politiques, le commerce international, les sciences économiques n’offrant quasiment aucune chance, après des études coûteuses, de trouver un emploi.

Tout notre système universitaire doit être reconsidéré. Nos universités sont-elles prêtes à faire face aux chocs technologiques imminents?
La préoccupation majeure doit être d’offrir à tous les jeunes universitaires les mêmes chances d’accéder, en fonction des besoins du marché du travail, aux emplois qui contribueront à soutenir le développement économique et social de nos pays.
Nos universités doivent être inclusives. Elles ne doivent plus proposer des régimes de formation différents ayant pour finalité de créer des types de citoyens différents face au marché de l’emploi.
Tous les paradigmes inhibiteurs qui rejettent le savoir-faire de professionnels aguerris dans les métiers de la finance, du droit, dans les domaines scientifiques, techniques et technologiques en leur interdisant tout enseignement dans une université publique quand même ils affichent, une expérience d’enseignement consacrée en Amérique du Nord, en Angleterre, en Suisse, avec en sus, un PhD délivré par des universités de classe mondiale.
Combien de sommités académiques provenant du Sénégal rayonnent dans l’univers académique des meilleures universités du monde ne sont pas aptes à professer au Sénégal ? Combien de sénégalais sont des lauréats ignorés délibérément dans leur pays et font les beaux jours de leaders mondiaux dans tous les domaines ? C’est bien triste.
A-t-on réussi, à tout le moins, au sein de nos universités à créer un modèle de citoyenneté résolu, engagé et déterminé à recueillir les connaissances, les compétences de nature à en faire un identificateur ou acteur inspirant de la création de plus-values sociales ?
J’avoue que la visite du campus social, ou la prolifération de linge étalé à même les pelouses ou aux fenêtres des chambres, l’insalubrité qui ne dérange personne, les trafics entretenus et, moult fois, dénoncés, les cantines et, même, la qualité de l’alimentation servie dans les restaurants universitaires de ces futurs cadres dirigeants de notre beau pays ne manquent pas de susciter le désespoir, voire, la honte lorsqu’on a connu ce beau campus par le passé.
Tout n’est cependant pas totalement morose dans cette université où, comme l’ai dit un de ses anciens recteurs on traverse 3 siècles d’existence quand on la parcourt. De réelles success stories permettent d’en être fiers. Des chercheurs que je me garderai de citer nommément, formés et travaillant sur place ont atteint une réputation mondiale.. Ils continuent de faire rayonner l’image de l’université publique à travers le monde. Des découvertes majeures y ont été opérées ayant contribué, entre autres, à la lutte contre des pandémies, à l’éradication de maladies tropicales.
Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Je reste convaincu que Dakar, Saint-Louis, Thiès, Ziguinchor, etc…. pourraient devenir des centres universitaires à vocation panafricaine ayant un rayonnement dépassant toutes nos attentes.
Il est donc urgent de réunir tous les acteurs sociaux pour réfléchir aux meilleurs voies et moyens de résoudre cette lancinante problématique des jeunes diplômés de nos universités publiques.

Youssoupha DIOP
Chef d’entreprise. Juriste, E.MBA
youssouf.diop@gmail.com

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